Enseigner dans le supérieur est différent d'enseigner dans le secondaire. D'une part, il n'existe le plus souvent aucune obligation de formation pédagogique pour entrer dans la carrière et d'autre part c'est l'allégeance à la discipline qui est au cœur de l'identité professionnelle : les "enseignants-chercheurs" sont physiciens avant d'être enseignants de physique. Tout se passe comme s'il suffisait d'être un bon chercheur expert en son domaine pour être un bon enseignant (Rege Colet & Berthiaume, 2009). C'est la formation informelle qui prédomine dans les pratiques de développement professionnel : c'est en enseignant qu'on apprend à enseigner (Knight et al., 2006).
Pour autant, certaines initiatives visant l'excellence pédagogique viennent remettre en question cet ordre établi, en promouvant le « développement pédagogique ». Il s'agit alors de proposer des formations et/ou d'accompagner les enseignants du supérieur dans leur activité d'enseignement (préparation et animation de cours, conception de programme, organisation pédagogique, évaluation, etc.).[...]
Avec la massification des effectifs et la compétitivité croissante des établissements dans l'espace européen et mondial de l'enseignement supérieur, ont émergé des questions de qualité à la fois scientifique et pédagogique. La primauté de la recherche sur l'enseignement est devenue plus ouvertement un objet de débat. Le métier d’enseignant-chercheur a évolué, avec une fonction enseignante plus explicite et des pratiques pédagogiques plus diversifiées et plus « actives », même si le travail reste peu coordonné, en particulier dans les sciences humaines et sociales ; des initiatives originales, bien qu'encore limitées dans leur portée, commencent à voir le jour, pour valoriser l’activité d’enseignement. D’une façon générale, l'excellence pédagogique mobilise aujourd’hui davantage l'attention, et actualise les discussions sur la formation et l'accompagnement pédagogiques des enseignants-chercheurs.
On ne peut plus se permettre de croire qu'être un bon chercheur suffit pour être un bon enseignant, ni de penser que « miser » sur l'auto-formation constitue une politique viable, parce que conforme à l'habitus de la profession. On sait que les représentations influencent directement l’activité d’enseigner et qu’une approche plus centrée sur l’apprentissage des étudiants que sur les contenus à transmettre est a priori plus efficace. En explorant les mesures prises çà et là et en analysant les recherches disponibles, de plus en plus nombreuses, on s'aperçoit qu'il existe une convergence véritable à la fois des politiques et des chercheurs sur l'importance du « développement pédagogique » des enseignants-chercheurs. Cet intérêt est cependant plus d’origine institutionnelle qu’il n’émane des enseignants-chercheurs qui, même s’ils expriment par exemple des besoins relatifs à la gestion des grands groupes et à l’introduction de méthodes plus actives, notamment via les TIC, sont exceptionnellement prêts à y consacrer plus de deux jours par an.
Les premiers travaux théoriques sur le développement pédagogique ont été conduits en Amérique du Nord dès la fin des années 1980 ; l’influence en particulier des courants issus du SoTL (scholarship of teaching and learning) est indéniable, tant sur les programmes que sur les référentiels de compétences. Il s’agit de rapprocher enseignement et recherche, de montrer que, par la pratique réflexive et l’implication dans des recherches-actions, l’activité d’enseignement peut répondre aux mêmes exigences que l’activité de recherche. Dans les faits, le développement pédagogique peut s’incarner dans différents types de scénarios, du plus informel au plus formel. L’idée d’une formation obligatoire pour entrer dans la carrière ou être titularisé est soutenue activement dans certains pays (Australie, Norvège, Royaume Uni, Suède), dans d’autres le choix relève plutôt des établissements (États-Unis, Finlande, Nouvelle Zélande, Pays-Bas). Dans d’autres encore, les efforts se concentrent sur l’accompagnement (Belgique, Canada), alors qu’en France c’est la formation des doctorants qui était jusque là privilégiée, avec les CIES (centres d’initiation à l’enseignement supérieur).
Formation « initiale » ou formation « continue » ? Les deux modalités gagnent à être articulées. Pour ce qui concerne l’entrée dans la carrière, une formation d’une durée minimale d’un an, en alternance avec l’enseignement, semble nécessaire pour non seulement acquérir de nouvelles méthodes, mais surtout pour faire évoluer les représentations vis-à-vis de l’apprentissage. Il s’agit aussi d’encourager une pratique « scientifique » de l’enseignement, de favoriser la construction de réseaux et d’aider à appréhender le contexte institutionnel. Rendre obligatoire cette formation requiert un cadrage explicite à l’échelon national et ne présente un réel intérêt que quand elle intervient dans un environnement structurel et culturel propice. L’influence du département en particulier est décrite comme cruciale, pour promouvoir les liens entre recherche et enseignement et favoriser les échanges entre novices et avec les enseignants plus expérimentés, via par exemple des dispositifs de mentorat ou des communautés de pratiques.
Si la formation continue n’existe pas vraiment, dans le sens où elle n’est pas statutaire, de nombreuses initiatives, souvent locales et donc très variables d’un établissement à l’autre, peuvent s’y rapporter. Les avis divergent sur le fait qu’il faille ou non privilégier des interventions ponctuelles, à la demande des enseignants-chercheurs, ou opter pour une offre de services plus classique. Certains sont partisans de programmes courts et sur-mesure, basés sur une pratique réflexive et contextualisée, d’autres défendent l’idée d’une formation moins alternative, basée sur des événements répétés et adressée à tous les enseignants. Dans l’un ou l’autre cas, le lien avec la discipline est considéré comme important. En définitive, il s’agit de promouvoir une offre multidimensionnelle, qui intègre ces différentes modalités, afin de favoriser une approche globale intentionnelle. Autrement dit, il ne suffit pas de programmer des cours et des conférences, il convient aussi de développer l’accompagnement de projet et la recherche action d’une part, et de mettre en place une méthodologie et des outils pour évaluer l’activité d’enseignement.
Dans les établissements, le développement pédagogique repose généralement sur une ou plusieurs structures centralisées, dont l’existence peut être plus ou moins fragilisée selon les budgets et ressources alloués, comme le montrent les expériences anglaise et australienne. Dans ces deux pays, le déploiement a été systématisé il y a plusieurs années, mais les services proposés ne semblent pas avoir atteint leur pleine maturité, en particulier dans les universités traditionnelles. En France, les SUP (services universitaires de pédagogie) se sont développés tardivement, au début des années 2000 ; ils couvrent à peine 20% des universités et viennent de se constituer en réseau. Quelle que soit la configuration, toutes les recherches signalent la nécessité d’un leadership fort, tant au niveau central que local, et d’outils de mesure adaptés pour évaluer l’impact des activités menées, tant sur les enseignants-chercheurs bénéficiaires que sur le fonctionnement global de l’établissement.
Dans cette perspective, la question de la professionnalisation des conseillers pédagogiques – et donc de leur formation – devient un véritable enjeu. Mais ce n’est pas le seul. Les recherches qui se sont intéressées à la dynamique du changement dans les établissements d’enseignement supérieur montrent que miser sur l’évaluation des enseignements et sur des dispositifs de récompense n’est pas suffisant pour stimuler le développement des compétences. Si le rôle des acteurs individuels est souligné, notamment celui des enseignants-chercheurs « leaders », celui des départements, voire des écoles doctorales, est également essentiel. D’une façon générale, c’est le transfert interne de connaissances qui doit être facilitée, pour tendre vers une organisation apprenante capable de se régénérer. Au préalable, l’institution doit reconnaître l'existence d’un problème à résoudre, tout en prêtant attention à ne pas exacerber les tensions entre recherche et enseignement.
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