L’environnement, entendu comme « l’ensemble des éléments objectifs (qualité de l’air, bruit, etc.) et subjectifs (beauté d’un paysage, qualité d’un site, etc.) constituant le cadre de vie d’un individu » (Larousse), fait l’objet d’une réflexion éducative depuis que les mouvements militants écologistes des années 1970 travaillent à diffuser une lecture critique des relations homme-nature dans les sociétés capitalistes, et promeuvent des valeurs naturalistes en opposition aux valeurs marchandes des sociétés de consommation avancées.
D’autres termes apparaissent ultérieurement, en particulier celui de « développement durable » (sustainable development), marquant la volonté d’inscrire la mobilisation à l’échelle mondiale dans une forme de neutralité, résultat d’un consensus peu contraignant. Le rapport Notre avenir à tous de l’ONU (1987) recommande par exemple de considérer le patrimoine écologique comme un stock de ressources dont les usages présents ne devraient pas empêcher la satisfaction des besoins des générations futures, mais sans donner d’outils particuliers pour permettre aux pays d’atteindre des objectifs.
En impulsant la « décennie du développement durable » (2004-2014), l’UNESCO incite à introduire cette notion dans les programmes scolaires sous la forme de bonnes pratiques. Le basculement du développement durable de sa sphère onusienne d’origine vers celle de l’éducation a ainsi fait émerger de nouvelles missions assignées à l’école. Cette orientation se traduit dans le système éducatif français par une intégration transversale de la problématique dans l’ensemble des disciplines, par-delà la seule expertise des Sciences de la Vie et de la Terre (SVT). L’intégration de l’EDD dans les curricula demeure pourtant très inégale, encore davantage au lycée — où les préoccupations pour les disciplines sélectives l’emportent en prévision de l’orientation vers l’enseignement supérieur — qu’au collège ou à l’école primaire.
Dans un rapport en date de 2021, l’UNESCO notait ainsi que plus de la moitié des documents programmatiques d’une cinquantaine de pays ne faisait aucune référence au changement climatique en cours. À partir d’une enquête par questionnaire en ligne diffusé au printemps 2017, C. Redondo et C. Ladage(1) dégagent un échantillon de réponses permettant d’établir que 70 % des répondant.es sont enseignant.es du Primaire (contre 30 % de professeurs du Secondaire) et que la majorité sont des femmes (78 % de répondantes), sans que la variable « ancienneté dans le métier » ne soit aucunement explicative. Enfin, si 55 % des répondantes déclarent enseigner en ville (contre 45 % en milieu rural), une majorité de professeures (60 %) indiquent intervenir dans de petits établissements (moins de 10 classes). Quant au choix des thématiques de développement durable, on observe un traitement déséquilibré : deux grandes thématiques —l’environnement et les déchets — sont déclarées être abordées de manière prioritaire.
Suffit-il dès lors de mobiliser les habitudes didactiques classiques (du type « pratique des écogestes ») pour faire évoluer en profondeur les comportements, ou doit-on envisager des pédagogies plus innovantes, mobilisant par exemple l’analyse des controverses, quitte à renouer avec une définition proprement politique du geste pédagogique ?
Parallèlement, un certain nombre d’actions pédagogiques se développent, comme le concours Cube.S d’économies d’énergie entre établissements scolaires, la labellisation E3D/établissement en démarche de développement durable, ou encore l’élection d’éco-délégués contribuant à la sensibilisation et à la mobilisation des élèves, et dont le champ d’action couvre les différentes dimensions de l’environnement (écologique, sociale, économique…). La dimension organisationnelle s’annonce ainsi centrale dans une conception de l’éducation à l’environnement où il s’agit de « gouverner les conduites » au nom de l’intérêt collectif. Mais ces démarches de « mise en réflexivité » et de responsabilisation des individus et des collectifs scolaires n’ignorent-elles pas trop rapidement la dimension sociale des comportements et le registre symbolique des usages ? Comme le signalait déjà le père de l’écologie politique Serge Moscovici(2) : à trop miser sur la rationalité des acteurs, ne néglige-t-on pas leurs affects — et l’hédonisme, le mimétisme ou la recherche de distinction ne devraient-ils pas être aussi abordés comme des éléments de compréhension des pratiques, voire comme des leviers dans l’éducation à l’auto-régulation ?
L’éducation à la biodiversité, qui s’inscrit dans la popularité croissante de la référence à « l’anthropocène » pour qualifier l’impact de l’activité humaine sur les équilibres écologiques planétaires, questionne aussi à nouveaux frais ce que l’école peut transmettre et permettre d’apprendre de notre rapport au vivant. Analyser les données que nos cinq sens sont susceptibles de recueillir, problématiser la dialectique des désirs infinis face aux ressources finies, décoder les rapports d’appropriation et de domination dans les processus de civilisation et de colonisation, étudier les relations à la nature et aux « non-humains » selon les cultures et les croyances, apprendre à protéger et conserver… Si les écoles de plein air et les Forest Schools connaissent un regain d’intérêt dans la dernière décennie, comment intégrer ces liens sensibles à la nature et cumuler ces savoirs au-delà de l’enseignement primaire ? Comment l’école peut se saisir de dispositifs développés souvent en dehors d’elle et dans des établissements se revendiquant comme alternatifs ? Peut-on imaginer des « sciences participatives » comme de nouvelles façons d’apprendre — et sans naïveté, reposer la question de l’articulation entre savoirs, savoir-faire et savoir-être ?
Pour l’enseignement technique et professionnel agricole en particulier, l’adaptation aux évolutions environnementales est une problématique centrale, alors que les curricula sont l’objet de tensions entre les intérêts économiques des représentants des secteurs professionnels agricoles, largement réticents à l’égard du discours écologiste, et les concepteurs des diplômes. La construction de référentiels intégrant les principes du développement durable et plus récemment ceux de l’agroécologie se heurte aussi à des difficultés méthodologiques. Comment les diplômes du brevet de technicien supérieur agricole et du baccalauréat technique et professionnel prennent-ils dès lors en compte les questions environnementales ? Et quels effets ces savoirs qualifiants ont-ils sur le renouvellement des pratiques agricoles elles-mêmes, dans l’urgence de l’adaptation à la transition climatique ? Finalement, dans quelle mesure la mise en didactique de « l’environnement » ne participe-t-elle pas à dépolitiser cette question socialement vive – et aujourd’hui vitale ?
Ces Entretiens Ferdinand Buisson réuniront des universitaires et des acteurs éducatifs particulièrement engagés sur ces interrogations, en croisant des regards pluridisciplinaires sur les rapports entre éducation, écologie, développement durable et anthropocène.
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L’enseignement agricole représente une partie étonnante du système éducatif français.
Il est instauré en 1960, sous tutelle du Ministère de l’agriculture, pour remplir un double objectif de formation professionnelle et d’éducation avec une équivalence de diplômes de l’Éducation nationale. Ouvert à tous les élèves, il comprend dans ses missions outre la formation, l’animation du territoire, l’expérimentation, la coopération internationale et l’insertion sociale et professionnelle.
Enseignement agricole vers l'agriculture et au-delà