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EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode #28 (22/09/2023)

philosophie enseignement baccalauréat réforme programme scolaire

Philosopher au lycée : réalité ou illusion ?

L'épreuve de philosophie au bac a toujours inspiré un mélange de curiosité et de méfiance auprès des élèves et de l'opinion publique. Avec l'écrit de français, c'est l'une des deux seules épreuves communes à être maintenue lors de la réforme du baccalauréat en 2019. 

Pourtant  les associations de professeur·es de philosophie affirment que la discipline  n’a jamais eu aussi peu de place et d’importance dans la scolarité des élèves de Terminale. 

Interview de Marie Perret, directrice de l'APPEP

Peut-on dire que la philosophie a une place particulière dans l’école française ? Pourquoi cette discipline semble-t-elle indetrônable alors même qu’elle est trop souvent considérée, par les philosophes eux-mêmes, comme non scolaire ? 

Pour le savoir nous avons mené l’enquête.

La première épreuve écrite de philosophie est instaurée en 1866. Elle est vue à la fois comme « l’achèvement » mais surtout comme le « couronnement » des études classiques. La philosophie est alors la matière phare du baccalauréat où les élèves sont les plus nombreux.  

En effet, si la philosophie garde encore aujourd’hui une place particulière dans l’enseignement secondaire, c’est qu’elle est considérée comme l’ultime étape de la formation à la fois de l’individu et du citoyen.  

Les instructions de 1925 sont  toujours d’actualité : la philosophie doit donner des outils aux élèves “qui fassent d’eux des hommes de métier capables de voir au-delà du métier, des citoyens capables d’exercer le jugement éclairé et indépendant que requiert notre société démocratique” 

 

La première méthode d’enseignement est alors de philosopher soi-même devant les élèves.

 

Ainsi on leur transmettrait « l’art de la pensée libre » tel Socrate sur le forum à Athènes. 

S’installe, selon Bruno Poucet, enseignant chercheur en histoire de l’éducation, l’image du « professeur de philosophie-philosophe » dont le cours est moins l’objet d’une préparation au baccalauréat que le lieu de « l’expression de son activité philosophique ».

La première particularité de la philosophie tient donc à son statut de discipline à part, une discipline qu’on apprend en la pratiquant. 

Le professeur de philosophie est alors recruté pour ses qualités intellectuelles et c’’est seulement au  CAPES de philosophie 2022  que les candidat·e·s, futur·e·s professeur·e·s du secondaire, planchent pour la première fois  sur des « situations d’enseignement » ou de « vie de classe ».

 

Autre particularité : la philosophie ne s’enseigne qu’en un an 

 

D’autres pays d’Europe comme l’Italie ou la Bulgarie vont jusqu’à trois années d’enseignement obligatoire au lycée.

Le corps des enseignant·e·s le fait remarquer dès le  rapport Derrida-Bouveresse de 1989 : il faudrait initier tous les élèves dès la classe de Première. 

Quelques lycées français expérimentent une heure d’initiation en première A puis en première littéraire. En 2019,  la réforme des lycées inscrit la philosophie au programme de Première de la spécialité Humanités, Littérature et philosophie. Cette initiation  ne s’adresse qu’à celles et ceux qui l’ont choisi. . Cette spécialité est d’ailleurs unique en son genre, faire de deux disciplines différentes, ce qui participe à leur confusion plutôt que de préparer à la méthode propre à la philosophie.

 

Une notation aléatoire ? 

 

Ouvrant le bal des épreuves de baccalauréat, elle a toujours eu un statut à part : jugée aléatoire, trop difficile, on entend souvent les élèves dire qu’il faut y aller “ au talent” et qu’il n’y aurait “pas besoin de réviser”. 

Qu’en est-il réellement? Ces allégations sont-elles sans fondement ? 

Le numéro de janvier 1894 de la Revue politique et littéraire révèle un premier élément de réponse qui reste d’actualité : le programme des lycées et des concours du CAPES et de l’agrégation de philosophie reste très similaire et forme ainsi des professeurs qui peinent à “se proportionner à l’intelligence des ses auditeurs”. Le problème n’est  donc pas neuf et surtout indépendant d’une baisse hypothétique du niveau des élèves.

 

La dissertation: un double paradoxe. 

 

Un second élément de réponse peut être la nature de l’épreuve elle-même. 

Ailleurs en Europe, la philosophie obligatoire est, soit un cours d’histoire de la philosophie que les élèves doivent connaître, soit l’objet d’ épreuves facultatives ou aménagées en questions précises comme en Bulgarie et en Finlande. 

En France deux sujets sur les trois sont des dissertations tant en série générale qu’en série technologique. Ces dissertations sont choisies en fonction d’un programme de notions. 

Vincent Citot, professeur agrégé et directeur de la revue Le Philosophoire, décrit cette épreuve comme un double paradoxe : “l’enseigné doit apprendre à penser par soi-même en épousant provisoirement la pensée d’un autre”. Il s’agit donc d’apprendre à ne pas être trop scolaire tout en maîtrisant bien une culture philosophique jugée nécessaire à l’exercice et l’humilité de la pensée. 

D’où la question répétée des élèves “ faut-il ou non citer les auteurs”? Oui mais pas comme des arguments d’autorité. 

Et comment apprend-on alors à penser par soi-même lorsque le cours qui nous est dispensé est la pensée d’un·e autre, celle du professeur et de l’auteur ? 

Ce professeur interrogé en 1975 révèle ce paradoxe : aider l’élève à se faire sa philosophie. 

Les programmes : liberté OU LOTERIE ? 

 

Dernier point et non des moindres, ce sont les programmes qui font également polémique au sein du corps des professeur·e·s.

Depuis 1902, Les notions sont de moins en moins rattachées à des problèmes et des angles d’étude spécifiques. Le programme de 2019 achève cette progression : 17 notions classées par ordre alphabétique, rattachées à aucun auteur, ni problème précis. 

Cette indétermination protège d’un côté la liberté pédagogique des professeur·e·s qui est affirmée en préambule de chacun des programmes depuis 1902. 

La ou le professeur est de plus en plus libre de traiter les notions à partir d'un problème qu’il aura lui-même choisi. Or cette indétermination peut être problématique lorsqu’il faut préparer les élèves à une épreuve finale commune.

D’aucun en viennent alors à accuser l’épreuve d’être une loterie injuste. Une partie des professeur·e·s eux-mêmes dénoncent depuis longtemps ce programme qui rend la réussite aléatoire faisant croire ainsi que la notation dépend de l’arbitraire des professeur·e·s.  

La philosophie hors du cadre institutionnel. 

 

Par ailleurs, hors de l’école, d’autres manières de faire de la philo voient le jour, qui montre l’envie et l'intérêt inassouvis pour cette matière. 

La philosophie s’affranchit de l’enseignement strictement scolaire. Le premier café-philo se tient au café du Phare à Bastille en 1992 au même moment où Michel Tozzi développe les nouvelles pratiques philosophiques qu’il décrit au micro de Kadékol dans Ca manque pas d’R en 2019. 

En parallèle, les ouvrages de vulgarisation se multiplient, les émissions radio offrent de la philosophie en 4 minutes, et Brut la plateforme de vidéo sur les réseaux sociaux à une chaîne Brut Philo où interviennent professeur·e·s de philosophie et auteur·e·s. 

Ainsi la philosophie se re-définit comme une pratique ouverte à toutes et tous : il s’agit moins de mobiliser une culture élitiste et exigeante que de développer sa capacité à interroger ses opinions, formuler des problèmes et apporter une réponse argumentée en intégrant  les positions qui nous sont étrangères.

 

Et le bac pro alors ? 

 

C’est alors que, paradoxalement, la place de la philosophie à l’école  interroge à nouveaux frais. Pourquoi la voie professionnelle n’intègre-t-elle pas la philosophie ? Pourquoi le bac pro est-il le seul baccalauréat sans philosophie ? 

Interview de Pascal Vivier, extrait de l'émission "SMART Education" du 25/05/2022 sur la chaine B SMART. 

 On  voit donc que la philosophie est une discipline formatrice qui ouvre des possibles dans le dialogue entre actualités et textes fondateurs, liberté et pratiques méthodiques mais que les modalités d’évaluation restent un vrai obstacle à son appréciation et son enseignement.

 

 

 

 

 

 

 

 

Et pour aller plus loin ...

Les textes officiels : 

Des articles et des ouvrages : 

  • Boillot, H. (2014) ‘L’enseignement de la philosophie en France depuis 1945 et la question de sa démocratisation.’, Démocratisation scolaire, https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article182.
  • Charbonnier, S. (2012) ‘Culture commune versus émancipation ? Les effets pervers de la canonisation des auteurs philosophiques’, Carrefours de l’éducation, 33(1), p. 115. 
  • Citot, V. (2018) ‘Difficultés et curiosités de l’enseignement de la philosophie en France:’, L’enseignement philosophique, 68e Année(3), pp. 55–63. 
  • Poucet, B. (1999) Enseigner la philosophie: histoire d’une discipline scolaire, 1860-1990. Paris: CNRS.
  • Poucet, B. (2012) ‘Une exception française : vers un nouveau paradigme de l’enseignement de la philosophie en Terminale ?’, Recherches en éducation [Preprint], (13). 
  • Rayou, P. (2015) La ‘dissert’ de philo’ Sociologie d’une épreuve scolaire. Rennes: Presses universitaires de Rennes.
  • ( Dir) Rochex J-Y. et Bautier E. (2005) Enseigner la philosophie en lycée professionnel: analyses, expériences, témoignages. Reims: SCEREN-CRDP de Champagne-Ardenne.

Des vidéos et émissions : 

 

Émission préparée par ...

  • Production : Adeline Houncheringer
  • Réalisation technique : Sébastien Boudin
  • Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
  • Musique : Joakim Karuk, Love mode
  • Remerciements : Florence Sauvebois qui m'a présenté à cette nouvelle équipe et relu avec bienveillance, Diane Béduchaud pour son accompagnement précieux tout au long de l'écriture de cette première émission, Sandra Myot et Sébastien Boudin pour leurs relectures encourageantes et leur accueil chaleureux. 

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