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EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 41 (23/06/2025)

En classe, qui a un corps ?

INTRODUCTION 

 

Par héritage philosophique, l’enseignement français a  tendance à séparer le corps de l’esprit, Socrate nommait le corps le tombeau de l’âme dans une formule funèbre et Descartes sépare lui aussi esprit et corps, faisant de ce dernier une machine bien huilée qui obéit à la pensée. Même si la philosophie questionne ce dualisme, il semble encore très opérant notamment dans notre rapport à l’enseignement: on se demande à qui nous enseignons, à l’ensemble de l’être humain qu’est l’élève ou seulement son intellect ? L’EPS est-elle la seule discipline qui éduque alors les corps ? L’enfant et l’élève doivent-ils faire taire leurs corps pour mieux élever leurs esprits ou le corps est-il aussi le sujet de l’éducation ? N’y a-t-il que des corps oubliés à l’école ? Quel rapport au corps organise et ordonne  la salle de classe ? 

Pour le savoir , nous avons mené l’enquête.

Le corps de l'élève

 

Si on écoute encore une fois les philosophes qui inspirent nos modèles éducatifs, Kant affirme

“C’est ainsi par exemple que l’on envoie tout d’abord les enfants à l’école non dans l’intention qu’ils y apprennent quelque chose, mais afin qu’ils s’habituent à demeurer tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne”.

Ainsi l’enfant y apprendrait à maîtriser son corps et à user de ce corps pour obéir.  

Est-ce là une vision complètement dépassée de l’école ?  Force est de constater que les enquêtes et recherches contemporaines constatent encore cette contrainte des corps imposée aux élèves. 

Écoutons Sylvain Wagnon, professeur des Universités en Science de l’Education:

Le corps n’est pas tellement sollicité dans les apprentissages au-delà de l’école maternelle ou primaire. Cependant une discipline du corps est jugée nécessaire à la transmission de connaissances, les élèves sont alors jugés en fonction de leur appropriation plus ou moins grande des logiques et codes corporels de l’école : l’auto-contrôle, l’écoute, l’obéissance, l’immobilité.

Anne Dizerbo, chercheuse en Sciences de l’éducation écrit dans “Etre et avoir un corps à l’école” que plus les enfants avancent dans les classes, plus leurs corps sont contraints, par le découpage temporel, par l’immobilité, par la passivité. En parallèle elles et ils sentent de plus en plus la séparation entre leur identité personnelle et leur rôle d’élève, comme si la personne restait au seuil du portail d’entrée, “un élève à l’école, une personne dehors” relève t-elle. 

Cette impossibilité d’être soi-même serait liée à l'impossibilité de disposer de son corps. 

Au risque d’insister, là encore le dualisme vient donner sens à ces pratiques : le corps ce serait ce qu’il y a de personnel, de singulier en la personne et donc sa part subjective. Autrement dit, c’est une expérience qui ne peut être complètement comprise et partagée par et avec les autres. 

Tandis que la raison, l’intellect, c’est la faculté partagée, c’est la possibilité d’un universel. Ainsi faire taire le corps, c’est faire taire la singularité et l’individuation pour au contraire valoriser ce qui nous rassemble, ce qui permet l’intégration et une forme d’uniformisation. 

L’idée serait que les corps sont ce qui nous différencient et créent de l’inégalité, quand l’intellect est le fondement d’une éducation égalitaire. 

Non seulement cette séparation entre le corps et l’intellect de l’élève à quelque chose d’illusoire, mais elle fait aussi obstacle aux apprentissages et cette négation des corps vient faire violence aux identités . 

Ecoutons Fabien Groeninger, maître de conférence en histoire :

De fait, le corps de l’élève est soit rejeté, vécu comme encombrant, odorant, trop grand, soit surveillé de près, même un regard qui s’échappe est susceptible d’être rappelé à l’ordre, soit il nié quand il s’agit des changements corporels des adolescents, de certains besoins primaires. 

Dans la série Tu mourras moins bête Marion Montaigne explique une partie des ces changements : 

Dans la lignée de cette séparation corps / esprit, le corps des adolescents est naturalisé, c’est le biologique et l’animal qu’il faut dompter. 

Dans son enquête, Ingrid Voléry, sociologue, relève les discours sur les hormones, l’animalité, la libido, la puberté comme si les corps étaient l’irruption de l’animalité dans un cadre civilisé. Elle s'interroge sur cette vision naïve ce qu’est le corps humain qui est façonné par la culture, par les relations sociales, à travers les habitus : 

C’est d’autant plus étrange que le corps des professeur·es, eux, sont eux  reconnus à la fois comme un instrument maîtrisé mais aussi le révélateur d’un statut, d’une socialisation voire d’une authenticité. 

Le corps (de l') enseignant·e

 

Le premier contraste est que le corps du professeur est omniprésent : il est exposé, il doit être regardé et être le centre de l’attention.

La voix, le regard, les gestes organisent la classe, le corps se déplace et occupe l’espace. 

Dans les formations enseignantes, on trouve des modules pour apprendre à placer sa voix, pour utiliser son corps comme un instrument de la relation pédagogique. Le métier est alors souvent comparé à une performance théâtrale, qui demande une maîtrise du corps pour incarner un personnage

Jean-François Moulin, ancien formateur à l'IUFM d'Amiens, dans son article sur le “discours silencieux des professeurs” montre que les professeurs expérimentés usent de leur corps différemment des débutants, elles et ils occupent plus l’espace, ont moins de marques corporels de malaise. 

D’ailleurs ce n’est pas seulement en tant qu'instrument que le corps de l’enseignant est central, mais aussi comme corps habité, comme incarnation de son esprit. 

C’est un constat étonnant : le corps de l’élève n’est pas complètement reconnu comme faisant partie de son identité publique et sociale tandis qu’on reconnaît le corps des enseignant·es comme manifestation de leur identité et statut.

Claude Pujade- Renaud, dans sa thèse en sciences de l'Éducation, soutient que le “dynamisme, l’aisance des manières, le plaisir d’être “bien dans sa peau” de communiquer et d’enseigner, lisibles dans le corps même de l’enseignant, sont présentés comme des conditions de l’appétence de l’élève à l’égard des connaissances et des facilitateurs de transmission”. 

Dans les discours, le corps des professeurs a donc une place prépondérante dans l’enseignement, pourquoi ne pas supposer en retour la même chose pour les élèves ?

À  l’adolescence, le corps se transforme mais il devient aussi investi d’un rôle support pour la construction de l’identité, l’expression de soi au monde, il est donc au coeur des préoccupations des jeunes et pourtant à l’école, il est absent, Claude Pujade Renaud parle d’élève “zombie” dont le corps n’est pas habité, vidé par l’extrême passivité, il n’est plus là.

On observe donc une relation corps à corps inégale alors même que le corps peut être un lieu de rencontre et de transmission pédagogique.

Le corps, lieu de la relation : oppression ou transmission ? 

Surveillance et oppression 

Plusieurs chercheur·euses, telle Mélodie Benoit dans son analyse sur le corps discipliné à l’école, comparent la surveillance au sein de la classe à un regard “panoptique” emprunté aux analyses de Foucault pour le milieu carcéral. 

L’élève est conscient d'être constamment sous surveillance, qu’on attend une complète attention de son esprit qui doit se lire dans sa posture et son regard. Ses seuls membres sollicités sont les yeux, l’oreille et la main. Cette surveillance est alors un instrument du pouvoir exercé, elle garantit un rapport inégal entre la personne qui a le droit d’être en mouvement, parler, faire courir son regard et celles qui sont soumises à des contraintes très fortes sur leurs corps.

Le corps comme lieu de la rencontre pédagogique. 

Pourtant le corps est un support de la relation pédagogique, il y a même des distances plus ou moins propices à l’apprentissage dans la classe, Eve Berger dans sa thèse montre qu’il y a une corrélation  entre la position de l’élève, son attention en classe et son rendement scolaire. Les professeurs ne doivent pas être trop proches, pour ne créer ni pression ni malaise mais pas trop loin non plus pour éviter le désinvestissement. Penser la distance et la proximité c’est déjà ce que font beaucoup d’enseignant·es en refusant les rangées en ligne mais en aménageant des ilôts de travail ou des salles en U. 

Dans les petites sections, la question des gestes de contact est vécu comme un média pour l’enseignement : Jean-François Moulin liste ainsi tous ces gestes du corps à corps encore bien présents, bien que limités, entre adultes et élèves : par exemple les gestes d'encouragement en prenant par la main ou d’injonction en déplaçant un enfant dans le rang. 

De même les plus petits enfants apprennent par le corps, cette enseignante leur apprend par exemple la géométrie en leur faisant reproduire les angles  avec leur corps : 

 

Pour les plus grands, on peut aussi faire l’hypothèse que mettre les corps en activité, ou du moins exercer une moindre contrainte sur eux, soit propice à leur bien-être et à la transmission des savoirs.  Mobiliser les élèves veut bien  dire les “mettre en mouvement”. Il semble que même les exercices de pédagogie active se concentrent sur l’action intellectuelle d’un élève assis et immobile, peut-être en groupe ou en équipe, mais la question des déplacements, de la liberté des corps, de la mobilité est peu interrogée.

Pour une pensée du corps moins contraint

 

Penser le corps à l’école nous invite donc à envisager de reconnaître que les élèves sont des corps, mais des corps socialisés, déjà construits, pas animaux. Ainsi les codes scolaires comme la distance, certains gestes, l’immobilité ne sont pas incorporés de la même manière mais, en revanche, on peut penser le bien-être physique pour l’ensemble des élèves comme un horizon de transformations des pratiques. On pourrait, par exemple,  favoriser les déplacements pendant les heures de travail en groupe, accorder l’accès aux toilettes, réorganiser l’espace de la classe. 

Dans le numéro des cahiers pédagogique “ Apprendre par le corps” , les enseignant·es proposent de laisser les élèves utiliser le tableau, ou d’incarner des argumentations par les débats mouvants où les élèves se déplacent physiquement d’un camp à l’autre quand ils reconnaissent être touchés par un argument, une manière presque de jouer, par les corps,  l’exercice de la dissertation.

Conclusion 

 

Sans nier le bienfaits de l’immobilité pour la concentration, il s’agit de reconnaître que cette technique du corps s’apprend pour qu’elle ne soit pas douloureuse. Reconnaître également que ces corps existent face à nous en classe et qu’ils font partie des êtres à éduquer, que ces corps ne sont pas que la nature et le biologique en nous. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et pour aller plus loin ...

Émission préparée par ...

  • Production : Adeline Houncheringer
  • Réalisation technique : Sébastien Boudin
  • Photo de :  engin akyurt sur Unsplash
  • Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
  • Musique : 
    • Del Rey, L. (2012). Body Electric: Vol. Born to die-The Paradise Edition. Interscope Records & Polydor Records.
    • Lamar, K. (2017). HUMBLE.: Vol. DAMN. Interscope Records & Top Dawg Entertainement & Aftermath Entertainement.
    • Mendez, P. (2023). Regardez moi. Universal Music Group.
    • Papoose, & Prodigy. (2014). Prisoner: Vol. Cigar Society.
    • The Cranberries. (1994). Zombie: Vol. No need to argue. Island records.
    • Yseult. (2019). Corps: Vol. Noir. Native Records & Y.Y.Y.
  • Remerciements : Merci à Héloïse Marguerite et Sébastien Boudin pour leurs relectures et remarques. 

 

 

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