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EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 40 (30/04/2025)

Retour en classe après les attentats : silences et paroles.

Introduction 

 

L’école républicaine a accompagné les élèves lors de nombreuses périodes de violence et de guerre : les attentats de la fin du XIXème siècle, les deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie. Depuis les années 80, si les conflits n’ont plus lieu sur le territoire national,  la France est la cible d’attentats, qui sont des répercussions de ces conflits internationaux. Depuis les années 2010, régulièrement les professeurs doivent retourner en classe ​​en ne sachant pas vraiment quoi dire, ou comment parler de cette violences avec les élèves.

Entre deuil et peur, le retour en classe est souvent source d’appréhensions et de questionnements. Que disent les élèves de ces moments ? Quelles sont leurs attentes et leurs craintes ? 

Que se passe-t-il  en classe dans ces moments qui fragilisent le pacte pédagogique et qui bouleversent les relations et les identités de chacun ?

Pour le savoir, nous avons mené l'enquête. 

Les heures de cours qui suivent immédiatement les attentats ont été marquées par deux écarts au leur déroulement habituel  : l’intrusion de l’actualité, en particulier une actualité liée à la guerre, et la manifestation d’émotions très fortes.

L'intrusion de l'actualité

 

En revenant en classe après une actualité violente, les élèves ont souvent des attentes en termes de compréhension des évènements.

Benoît Falaize, chercheur au Centre d’Histoire de Sciences Po, rappelle que les élèves sont curieux de participer aux débats sur le monde et ses crises. Ils et elles sont désireux de  comprendre et attendent des adultes je cite une “mise en ordre du chaos”.

Or commenter l’actualité et analyser le temps présent est une difficulté en soi pour les professeurs car les savoirs ne sont pas encore constitués.

L’invention et l’improvisation sont alors de mise, il faut “ comprendre et faire comprendre l'événement au moment de son avènement” selon les mots de l’historien Emmanuel Saint Fuscien. 

Extrait d'une conférence d'Emmanuel St Fuscien de l'Université populaire sur la chaine du musée du Quai Branly : La guerre transmise en salle de classe | Université populaire : https://www.youtube.com/watch?v=YqKaDzug4ec 

Ainsi le choc est multiple pour les élèves : choc de la violence des attentats, choc du deuil, choc de l’irruption d’émotions très fortes chez les professeur·es et choc de ne pas les reconnaître ni les comprendre complètement. 

L'irruption exceptionnelle des émotions 

 

Si les émotions des élèves sont plus courantes dans la pratique pédagogique, c’est l’indifférence voire la colère des élèves qui a choqué les professeurs en janvier 2015. 

Les perturbations des minutes de silence en janvier 2015 ont été très commentées et analysées, souvent en s’éloignant des enjeux réel de terrains, et ont été l’occasion d’accuser l’école d’avoir failli à sa mission, d’être le lieu de la radicalisation religieuse, par excès de bienveillance et par manque d’autorité. 

Quand les recherches interrogent le terrain, les élèves et leurs proches, quelles autres analyses révèlent- elles ? 

Au sein des familles, tout d’abord, la tuerie de Charlie Hebdo est plus ou moins commentée et expliquée comme le rappelle Sébastien Ledoux, sociologue,  au micro de Être et savoir sur France Culture: 

Extrait d'une l'émission  du 11 janvier 2025  "Comment l'école a réagi aux attentats de Charlie Hebdo en 2015"

de France Culture : https://youtu.be/tJF90n4ao4A?si=fnsAYaXQb-RB5Nmj

Les réactions émotionnelles lors des commémorations en classe. 

 

Si on s’intéresse aux réactions des élèves, si on laisse de côté  les réactions minoritaires et effectivement radicales de quelques jeunes, elles peuvent se lire sous l’angle des sentiments et émotions. L’enquête d’Alice Simon, sociologue,  auprès d’élèves qui se disent musulmans révèle peurs et sentiments d’injustice. 

  • Elle décrit d’abord un sentiment de stigmatisation et une impression de se faire personnellement insulter par les caricatures . De son coté, Jean François Mignot, sociologue et démographe au CNRS, relève aussi chez les élèves un fort sentiment d’agression envers ( je cite) “l’estime de soi des croyants”. 

  • Alice Simon remarque aussi l’injustice ressentie lorsqu’on les oblige à “être Charlie” de manière arbitraire, ou lorsque  la minute de silence est vécue comme un opération de discipline auquel ils doivent se plier et qui les fait taire.

Extrait d'un entretien avec Anne Simon sur la chaine Sciences Po St Germain https://youtu.be/Xx7AZmzBFVU?si=ap5BLwx856WM-B7B

  • Une autre crainte est celle d’être indirectement associés aux terroristes, les discours un peu maladroits qui “refusent les amalgames” peuvent être vécu violemment, car c’est déjà reconnaître l’amalgame fait entre terrorisme et islam, entre la pratique religieuse et la radicalisation violente. 

  • En novembre 2015, les élèves témoignent aussi de la peur d’être les prochaines victimes ou que leurs proches soient victimes. 

  • Le climat tendu et l’évocation d’une forme de méfiance au sein même des classes, ajouté à la violence des attentats a fait naître aussi la peur de la guerre civile chez les élèves. Les médias et les discours politiques n'hésitent pas à évoquer cette potentielle guerre civile d’autant plus que DAECH en novembre 2015 appelle au meutre des enseignant·es et des assistant·es sociales en France. 

Après le meurtre de Samuel Patty et de Dominique Bernard les émotions sont à nouveau au coeur de la relation pédagogique, les professeur·es sont très touché·es et s’identifient évidemment aux victimes.

 

Quelle pédagogie pour ces temps de crise ? 

 

Comment dès lors aborder le sujet avec les élèves ? La question se pose de nouveau  et amène les enseignants à demander des heures de préparation au retour en classe, privilégiant la réponse pédagogique et l’accompagnement au seules minutes de silence imposées par l’institution.  

Bien que l’émotion ait été très forte pour les professeur·es, la réponse pédagogique, le maintien du lien avec les élèves est resté un souci et une priorité. Si la situation a quelquefois été mal vécue par les élèves, leur gêne reposait en réalité plus sur la manière de leur livrer la réponse institutionnelle aux événements, sans leur apporter les explications dont ils avaient besoin pour la comprendre. Sans le dialogue et le débat, le pacte pédagogique a pu être mis à mal.

Dans un article paru en 2024 suite à “l’attaque du Hamas du 7 octobre et à l’offensive de l’armée israélienne sur Gaza” , Benoit Falaize défend une pédagogie de l’écoute et du dialogue,  même sur des sujets qui crispent les identités et les valeurs de chacun et chacune.

Il parle de posture professionnelle singulière qui demande ( je cite) “d’entendre, attendre,  écouter et accepter ce que disent les points de vue, y compris ceux trop tranchés, ou trop directement issus du débat public” Il ajoute “ c’est incontestablement une façon de faire confiance aux élèves que de les considérer comme des interlocuteurs valables”. 

En effet, en janvier 2015, les attentats accélèrent un long projet de refonte de l'enseignement moral et civique dont un des piliers méthodologiques est le débat argumenté. 

La notion de débat suppose des positions opposées et la reconnaissance de la complexité des conflits d’arguments. Elle rappelle qu’une démocratie repose sur l’existence de conflits qui ne sont pas niés. « La démocratie, écrit Paul Ricœur, est un régime qui ne cherche pas à occulter la division sociale ni les conflits qui le traversent mais qui s’emploie à leur trouver un règlement pacifique. » 

Ses paroles résonnent en écho avec celles de l’article d’Elena Pavel, professeure d’HG et coordinatrice de l’éducation au média et à l’information,  qui rappelle que les élèves peuvent ne pas adhérer au message ni au procédé des dessinateurs, en parlant de Charlie Hebdo, mais que ce désaccord, au besoin, doit se régler au tribunal et dans un cadre légal.

L’enjeu est alors, en classe, de jouer et d’apprendre cette confrontation des arguments que l’on peut retrouver au tribunal ou dans les controverses scientifiques. Il s’agit d’en appeler à la rationalité et les connaissances  sans faire taire les émotions et les valeurs, qui doivent être identifiées et énoncées pour situer les interlocuteurs. 

Conclusion 

 

Extrait d'un entretien avec Elsa Bouteville, professeure des écoles membre du collectif Territoires vivants de la République : https://youtu.be/Bg2mOjqmmS0?si=XascVN99eLTt4ms-

Malgré tout, face à la violence guerrière, les attaques meurtrières et les accusations, l’école a tenu bon et a su maintenir le lien entre élèves et professeures, parce que le dialogue,  l'accueil et l’éducation doivent rester au cœur de ses pratiques.

Et pour aller plus loin ...

  • Bozec, G. (2015). Une laïcité qui cherche sa voie L’après-Charlie dans un lycée « mobilisé » de quartier populaire. https://doi.org/10.3406/diver.2015.4133
  • France Culture (Réalisateur). (2025, janvier 11). Comment l’école a réagi aux attentats de Charlie Hebdo en 2015 [Enregistrement vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=tJF90n4ao4A
  • Ledoux, S. (2019). La place des émotions à l’École après les attentats de 2015. https://doi.org/10.3406/diver.2019.4797
  • Lorcerie, F., & Moignard, B. (2017). L’école, la laïcité et le virage sécuritaire post‑attentats : Un tableau contrasté. Sociologie, N° 4, vol. 8, Article N° 4, vol. 8. https://journals.openedition.org/sociologie/3391
  • Mignot, J.-F. (2018). Chapitre 3. Les lycéens face aux attentats de 2015. In La tentation radicale. Enquête auprès des lycéens (p. 153‑202). Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.galla.2018.01.0153
  • Pavel, E. (2023). Charlie et ses drôles de dessins. Cahiers pédagogiques, 582(1), 27‑29. https://doi.org/10.3917/cape.582.0027
  • Saint-Fuscien, E. (2020). Au-delà de la minute de silence ?L’hommage aux morts des attentats de 2015 en milieu scolaire. Sensibilités, 8(2), 78‑88. https://doi.org/10.3917/sensi.008.0078
  • Saint-Fuscien, E. (2022). L’école sous le feu : Janvier et novembre 2015: essai d’histoire du temps présent. Passés composés.
  • Simon, A. (2018). L’attentat de Charlie Hebdo du point de vue d’élèves dits « musulmans »:Étude sur l’action politique de l’école. Agora débats/jeunesses, 78(1), 23‑40. https://doi.org/10.3917/agora.078.0023
  • Truc, G. (2016). Sidérations : Une sociologie des attentats. PUF.

Émission préparée par ...

 

  • Production : Adeline Houncheringer
  • Réalisation technique : Sébastien Boudin
  • Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
  • Musique : 
  • Beastie Boys. (2003). In a world gone mad [Interprété par Beastie Boys].
  • Comet is coming. (2019). Blood of the past: Vol. Trust In The Lifeforce Of The Deep Mystery [Interprété par Comet is coming & K. Tempest]. Impulse records.
  • Macklemore. (2024). Hind’s Hall [Interprété par Macklemore]. Macklemore LLC.
  • Reznor, T. (1999). The day the world went away: Vol. The Fragile [Interprété par Nine Inch Nails]. Interscope Geffen (A&M) Record.
  • Simon, P. (1964). The Sound of silence: Vol. Wednesday Morning, 3 A.M [Interprété par Simon and Garfunkel]. Columbia.
  • Remerciements : Merci à Maé Burlat pour ses corrections et conseils avisés et à Sébastien Boudin pour sa relecture. 

 

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