EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 38 (18/02/2025)
Erasmus : qu'apprend-on à voyager pendant ses études ?
Introduction
Comme ce refrain, on dit assez facilement que les voyages forment la jeunesse, que partir ouvre l’esprit grâce à la rencontre d’autres cultures et qu’on y apprend beaucoup . Le voyage des étudiants entre universités a d’ailleurs toujours fait partie de l’initiation des futurs jeunes diplômés.
Extrait d'une vidéo du compte Note Bene : https://youtu.be/0Z8VR0x-3io?si=o6ldZrFrNxP5Uhe8
Aujourd’hui en Europe il est institutionnalisé par le programme Erasmus + qui s’est vu attribuer une augmentation de plus de 80 % de son budget pour la période 2021-2027. Qu’attend-on de ses échanges ? Quels étudiants y participent et à quoi sont-ils réellement formés ?
Pour le savoir nous avons mené l’enquête.
Histoire du programme.
Le projet Erasmus vient du combat de Sofia Corradi, une étudiante italienne.
Après l’obtention de son master de droit à l’université de Columbia en 1958, son université italienne lui refuse l’équivalence lui reprochant ses voyages vus comme une frivolité et non comme un réel parcours de formation. C’est de sa lutte que va naître l’idée d’une équivalence des diplômes entre pays européens, au point de la nommer “Mama Erasmus”.
Erasmus est un acronyme en anglais qui signifie “plan d’action européen pour la mobilité des étudiants des universités “ tout en faisant, bien sûr, référence à la figure de l’humaniste Erasme.
Le programme prévoit des accords entre les universités et des bourses allouées aux étudiants pour soutenir leurs départs.
En 2021, le programme s’étend à d’autres profils.
Extrait d'une vidéo du compte France Télévisions - Le monde de Jamy. https://youtu.be/3Ou26FCA2eI?si=sLS1rjYe6OE9lCPa
Pourquoi cet investissement conséquent dans les échanges entre pays ? Quel objectif poursuit l'Union européenne ?
ll est difficile de répondre à ces questions, car les enquêtes sur les étudiants Erasmus sont peu nombreuses, anciennes et peinent à réellement évaluer les bénéfices de tels échanges.
Cependant l’élargissement du programme est une réponse à un constat : seuls 4% des étudiants européens sont concernés par ces échanges et parmi eux, très peu de jeunes des classes populaires et défavorisées malgré les bourses spécifiques.
Les freins économiques à la mobilité sont encore nombreux : se pose la question du financement de cette année dans des pays où la barrière de la langue ne permet pas de trouver un job étudiant facilement. Le logement est un autre problème : comment trouver et payer un logement à l’étranger ? Peut-on se permettre de rendre son logement en France pendant cette période ?
Qui sont les étudiant·es qui partent ?
La France est le pays qui envoie le plus d’étudiant·es en échange Erasmus, en revanche elle en reçoit deux fois moins. Ce déséquilibre met en doute la notion même d’échange au cœur du discours sur Erasmus : en réalité quelques pays sont considérés comme attractifs pour l’extension géographique de leurs langues mais aussi pour leur développement technique et économique.
Magali Ballatore observe dans son enquête que les étudiant·es français voient le départ à l’étranger comme une stratégie de distinction dans le contexte de massification de l’enseignement universitaire.
De fait, 70% des mobilités étudiantes concernent les écoles d’ingénieurs et de commerce qui concentrent 64 % de classes socio-professionnelles très favorisées.
Et ce sont dans les universités les plus fréquentées par ces mêmes populations que les départs Erasmus sont les plus nombreux. Ainsi l’Université de Paris Dauphine accueille moins de 4% d’étudiants défavorisés mais envoie près de 36 % des ses étudiant·es à l’étranger contre 5 % à l’Université de Paris Est Créteil.
Dans un contexte de dévalorisation de l’université, les familles font de la mobilité un critère de distinction mais sans réelle évaluation des connaissances et compétences acquises.
Ce constat s’étend à tous les étudiant·es en échange, il est difficile d’évaluer les acquis. Le Royaume-Uni, lorsqu'il faisait encore partie du programme, imposait même une année supplémentaire à ses étudiant·es à leur retour de l’étranger. Le discours majoritaire des responsables d’échanges et des étudiant·es eux-mêmes concerne davantage des savoirs-être que des savoirs disciplinaires.
La question des acquis : des savoirs ou des soft skills ?
L’existence des ECTS, le Système européen de transfert et d’accumulation de crédits, et des accords entre université n’a pas supprimé l’opinion selon laquelle les voyages étudiants à l’étranger c’est plutôt pour gagner en autonomie, en confiance en soi et pour apprendre à s’adapter dans un milieu étranger. Les savoirs semblent secondaires.
Les universités continuent de bricoler pour valider les UE ( unités d’enseignement ) et M.Ballatore observe qu’il n’y a pas de consensus quant aux apports académiques de ces mois à l’étranger. Certains étudiants subissent des épreuves de contrôle à leur retour, d’autres pas et on constate ainsi que ces années sont très largement validées ce qui tranche nettement avec le taux moyen de réussite à l’université .
Un facteur d’explication est leur niveau de départ: les mois passés hors de l’université d’inscription sont presque jugés comme “perdus”, ce sont alors les étudiants les plus à l’aise, voire en avance, à qui on accorde le plus de partir et donc ceux qui sont le plus à même de valider leur année, même à l’étranger.
Les étudiants sont très majoritairement assidus en classe, leur temps est centré sur les cours malgré les préjugés mais on attend que soient développées davantage des “soft skills”, appartenant au discours managérial.
Extrait d'une vidéo du compte CurieuxLive! : https://youtu.be/FDGo7A0dZY4?si=86lHY_EKeymKa0CR
Un outil pour l'identité et la citoyenneté européenne ?
En dernier lieu, Erasmus est vu par l’UE comme le moyen de développer une citoyenneté commune et de renforcer l’identification à la démocratie européenne.
Extrait d'une interview de Magali Ballatore sur la Chaîne France Capitale: https://youtu.be/NDhtFOSqy9Q?si=np8VY1XEJhm_idJu
À nouveau, ces éléments sont peu évalués et les chiffres les plus récents indiquent que les personnes qui sont parties en Erasmus s’estiment pour 76% plus européens plusieurs mois après leur retour. Néanmoins ce chiffre tombe à 57% immédiatement après leur séjour sans qu’il y ait d’interprétation proposée à ce chiffre.
On peut supposer que, au contraire, comme toute expérience migratoire, le séjour à l’étranger renforce le sentiment d’appartenance nationale, l’impression d’être le fruit d’un pays comme le dit M.Ballatore et les récits Erasmus sont souvent imprégnés malgré eux de visions culturalistes. En effet, en Erasmus, les étudiants fréquentent majoritairement d’autres étudiants étrangers qui partagent le même statut, souvent dans les mêmes lieux d’habitation.
Ainsi la question de l’intégration et de la compréhension de la culture du pays d'accueil n’est pas une pression qui pèse sur les étudiants Erasmus pendant leurs séjours universitaires.
En revanche, on peut espérer que les échanges en collège et lycée, entre entreprises et organisations qui sont compris dans le nouveau programme Erasmus + donnent davantage l’occasion de faire du lien avec les populations locales.
Conclusion
En conclusion, il semble difficile d’évaluer concrètement les acquis des échanges Erasmus. Les enquêtes du Cereq constatent : “Les effets des séjours à l’étranger sur l’insertion professionnelle après trois années de vie active sont donc faibles et concernent les expériences les plus valorisantes, celles où les jeunes issus des milieux les plus défavorisés sont relativement absents.”
En revanche, les acquis individuels, qui relèvent du développement personnel, restent souvent remarqués et seraient profitables à bon nombre d’élèves et étudiants.
Or, pour les publics les plus précaires, c’est aussi l’information et le soutien qui leur manque. Les éléments déclencheurs sont alors soit les pairs soit des professeurs ou responsables de programmes qui diffusent l’information et les accompagnent dans les démarches.
Et pour aller plus loin ...
- Ballatore, M. (2015). Erasmus et la mobilité des jeunes Européens : Mythes et réalités / Magali Ballatore. Cairn.
- Ballatore, M. (2020). Des origines aux destinations : L’importance des « lieux » dans les parcours des étudiants Erasmus. Migrations Société, 180(2), 113‑130. https://doi.org/10.3917/migra.180.0113
- Calmand, J., & Robert, A. (2019a). Effets des séjours à l’étranger sur l’insertion des jeunes—Des bénéfices inégaux selon l’origine sociale. INJEP, Analyse et synthèses(25), 4.
- Calmand, J., & Robert, A. (2019b). Séjours des jeunes à l’étranger : Des objectifs européens partiellement atteints, mais un accès encore inégal à la mobilité. Céreq Bref, 371. https://www.cereq.fr/sejours-des-jeunes-letranger-des-objectifs-europeens-partiellement-atteints-mais-un-acces-encore
- Coudret-Laut, L. (2015). L’Observatoire Erasmus+ n°1 : Des jeunes en mobilité internationale | Agence ERASMUS+ France / Éducation Formation. https://agence.erasmusplus.fr/publications/lobservatoire-erasmus-n1-portrait-des-jeunes-en-mobilite-internationale/
- Coudret-Laut, L. (2020). L’Observatoire Erasmus+ n°13 : La mobilité des publics vulnérables | Agence Erasmus+ France. https://agence.erasmusplus.fr/publications/observatoire-erasmus-13-les-declencheurs-de-la-mobilite-chez-les-publics-vulnerables/
- Erlich, V. (avec Observatoire national de la vie étudiante). (2012). Les mobilités étudiantes. la Documentation française.
- Poinsot, M., Coudret-Laut, L., & Vuillier-Cools, A. (2022). Génération Erasmus+, une jeunesse en mouvement. Hommes & migrations, 1336(1), 156‑163. https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.13679
- Thierry, S. (2022). L’observatoire Erasmus+ n°19 : Analyse des apports de la mobilité Erasmus+ pour les apprenants, les personnels et les organismes | Agence ERASMUS+ France / Éducation Formation. https://agence.erasmusplus.fr/publications/lobservatoire-erasmus-n19-analyse-des-apports-de-la-mobilite-erasmus-pour-les-apprenants-les-personnels-et-les-organismes/
Émission préparée par ...
- Production : Adeline Houncheringer
- Réalisation technique : Sébastien Boudin
- Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
- Vignette : photo de Lina Verovaya sur Unsplash
- Musique :
- Beethoven, Hymne à la joie, interprétation diffusée dans l'émission "L'hymne à la joie : 200 ans d'histoires, la 9ème des artistes" par la radio belge RTBF.
- Berti, O. (1993). Mamma Mia Dammi Cento Lire: Vol. Le Piu’ Belle Canzoni Popolari [Chanson populaire]. Universal Music Italia Srl.
- Booba, & Benash. (2015). Validée: Vol. Nero nemesis. Tallac Records, AZ.
- Disco Bitch. (2009). C’est beau la bourgoisie. Dust in music.
- FUN. & J. Monae. (2013). We Are Young: Vol. Some nights, Dost, A., Antonoff, J., Bhasker, J., & Ruess, N. Atlantic records, Nettwerk music group & Fueled by Ramen.
- Jain, A., Jenèriq, & Dang, S. (2024). Where is my home [Interprété par Jenèriq & Shairal]. Jenèriq.
- Michel, J. (1968). Les voyages forment la jeunesse [Interprété par J. Michel]. Disques Audiogram.
- Remerciements : Merci à Florence Sauvebois et Sébastien Boudin pour leur relectures.