EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 36 (07/11/2024)
Lutter contre le harcèlement scolaire : impuissance et maladresse ?
Introduction
Depuis 2015, chaque premier jeudi de novembre est consacré à la lutte contre le harcèlement scolaire. Phénomène reconnu comme dangereux, il reste cependant mal connu et encore trop peu d'établissements s’emparent collectivement du problème. Souvent un peu désemparées, les équipes éducatives peinent à le traiter efficacement. Comment détecter les signaux faibles, pourquoi est-ce si difficile à identifier et à endiguer ? Que se joue-t-il entre les différents acteurs de l’intimidation?
Pour le savoir nous avons mené l’enquête.
Définition et délimitation du concept.
Bien que le concept soit assez récent en France, le harcèlement est étudié à l’étranger depuis les années 70 et le phénomène semble avoir toujours existé. Cependant le harcèlement se distingue de la seule violence ou agression.
Il y a harcèlement quand une personne subit de manière répétitive des actes négatifs qui entraînent un malaise. Ces actes négatifs peuvent être des agressions physiques ou verbales comme les coups et les menaces mais peuvent aussi se faire sans mot ni contact par l’ostracisation ou des gestes obscènes.
Le cœur du harcèlement est dans la fréquence des agressions répétées et dans la nature de ces actes qui sont volontairement nuisibles.
Et surtout le harcèlement n’est jamais un rapport d’égalité, il y a un rapport de force où la cible se retrouve en position de vulnérabilité. C’est pourquoi les victimes peinent à faire cesser le harcèlement sans soutien et aide des adultes, car il est un rapport de domination qui les prive de capacité à se défendre entre égaux.
Selon la dernière enquête de 2023 sur presque 18 000 élèves, plus de 15% des élèves sont victimes d’actes qui relèvent du harcèlement et c’est dans les écoles et les collèges que les cas sont les plus nombreux.
Auteurs/rices et cibles : de qui et de quoi parle t-on ?
Les auteurs n’ont pas de profils type, le harcèlement concerne toutes les classes sociales, tous les genres. Il rejoue des discriminations bien connues : sexisme, homophobie, grossophobie, racisme.
Extrait d'une rencontre avec Éric Debarbieux : https://tnlnk.fr/debarbieux
Cependant cette idée de “refus de la différence” peut être dangereuse car elle peut faire porter la responsabilité aux victimes : il ou elle était “différent” et cela motiverait le comportement des autres.
Extrait d'une conférence de Jean-Pierre Bellon : https://tnlnk.fr/jpbellon
Le mot harcèlement lui-même ne fait pas consensus, certains comme Jean-Pierre Bellon que l’on vient d’entendre, préfèrent le mot intimidation qui permet de distinguer les comportements propres aux enfants et aux adolescents de celui des adultes.
En revanche, en anglais on peut faire la distinction entre deux termes “ le bullying’ et le “ mobbing”. Le bullying désigne la violence entre une brute, un tyran ( c’est la traduction ) et sa cible : cela peut être du racket, des menaces, des insultes répétées.
Le mobbing lui inclut l’effet de groupe, de foule: il désigne des assauts collectifs et concertés pour nuire à la cible.
Bien souvent le harcèlement scolaire relève davantage du “mobbing” où tout un groupe s’acharne à maltraiter une victime qui se retrouve très isolée et qui peine à trouver du soutien.
Ainsi de nombreux enfants très différents peuvent participer à l’intimidation par peur d’être exclus ou d’être la prochaine cible. C’est donc sur les dynamiques et normes des collectifs que l’attention doit se concentrer car le harcèlement est souvent une stratégie consciente pour obtenir du pouvoir et un statut de domination nous dit Benoît Galand.
Le cyberharcèlement.
La question du groupe devient alors d’autant plus problématique lorsque le harcèlement se poursuit en ligne. L’anonymat mais surtout la distance et l’absence physique de la victime laissent libre cours à une parole qui fait l’économie de l’empathie et de la réflexion. Le cyberharcèlement est alors le prolongement du harcèlement subi à l’école.
Plus de 80% des élèves qui harcèlent en ligne sont connus des victimes, ce n’est pas un phénomène déconnecté des relations dites réelles comme le précise Eric Debarbieux.
Extrait d'une rencontre avec Éric Debarbieux : https://tnlnk.fr/debarbieux
En revanche le cyberharcèlement a quelques spécificités : les victimes ont peu de répit et les actes échappent alors complètement à l’attention des adultes. Le harcèlement en présentiel a aussi lieu dans les endroits où la présence adulte est plus diluée : la cour, les toilettes, des vestiaires. Les réseaux sociaux offrent alors un espace caché privilégié.
En outre, les réseaux sociaux ont rendu possible une nouvelle forme de harcèlement : la révélation d’un contenu privé, intime à des personnes qui n'en sont pas destinataires. On pense aux photos et vidéos, mais ce sont aussi des messages, des confidences qui sont révélées. Bellon et Gardette nomment cela le “sexting”.
Extrait d'une intervention de J-P Bellon: https://tnlnk.fr/jpbellon#2
Les dégâts causés sont alors très graves d’autant plus que cela concerne le corps, l’intimité, la sexualité, les enfants sont alors tétanisés à l’idée d’en parler avec leurs parents.
La culpabilisation des victimes dans ces situations peut alors être très dangereuse comme le rappelle Marie Quartier:
Extrait d'une interview de Marie Quartier : https://tnlnk.fr/mquartier
La méthode de la préoccupation partagée: que peuvent faire les adultes ?
Beaucoup d’élèves avouent ne pas parler à leurs parents par peur de perdre l’accès aux espaces digitaux et parce qu’ils ont peu confiance en leur capacité à gérer la situation. Cela vaut également pour les équipes éducatives qui sont très peu formées à reconnaître et traiter des situations de harcèlement, d’autant plus s’ils ont lieu en ligne. Souvent la crainte des victimes est que la situation s’aggrave après l’intervention des adultes par maladresse et méconnaissance des dynamiques de groupe.
Et pourtant, on le sait, la meilleure prévention c’est le traitement dit Éric Debarbieux : plus les adultes réagissent en condamnant les insultes, moqueries et actes de violence, moins les élèves se sentent puissants et légitimes à installer une situation de domination.
Cependant si la réaction des adultes est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Écoutons Éric Debarbieux à ce sujet :
Extrait d'une rencontre avec Éric Debarbieux : https://tnlnk.fr/debarbieux
Ainsi la prévention du harcèlement vise à transformer les normes pour inviter les témoins passifs qui ne disent rien et les témoins actifs qui participent, à devenir des soutiens bienveillants qui refusent et condamnent les agressions.
Les programmes de prévention et d’intervention qui fonctionnent le mieux visent à restaurer l’empathie envers les victimes tant auprès des élèves qui harcèlent qu' auprès des témoins qui permettent au harcèlement de continuer.
Le programme PHare que le ministère veut étendre à tous les établissements reprend la méthode de la préoccupation partagée inventée par Anatole PIkas, un psychologue suédois. Ecoutons à nouveau Marie Quartier présenter cette méthode:
Extrait d'une interview de Marie Quartier : https://tnlnk.fr/mquartier
Le but n’est alors pas de condamner les auteurs mais, dans une perspective de justice réparatrice, qu’ils se rendent compte eux-même du mal fait en faisant le pari que leur empathie est inhibée mais pas inexistante.
La loi et les dispositifs institutionnels
En outre, il est important de faire connaître aux élèves leurs droits, le harcèlement est un délit qui relève de la justice pénale, et depuis 2019 le code de l’éducation comporte le “droit à vivre une scolarité sans harcèlement”.
Les chefs d’établissement doivent faire connaître au procureur de la République toute contravention à la loi, dont le harcèlement fait partie. Cependant les procédures pénales sont longues et c’est alors aux établissements que revient aussi la responsabilité de mettre en œuvre des actions nécessaires à la sécurité des victimes.
Les équipes éducatives ont toutes des référents académiques formés qui peuvent être contactés par téléphone. Les élèves et les familles peuvent être accompagnés en appelant le 30 20 ou le 30 18 pour les cas de cyberharcèlement.
D’ailleurs même en cas de cyberharcèlement, les sanctions disciplinaires doivent constituer “ une réponse rapide permettant de lutter efficacement contre le sentiment d’impunité”. Dès que l’équipe connaît l’existence des faits, elle doit légalement intervenir s’il y a atteinte à la dignité et la sécurité des élèves, même s’il s’agit d’échanges de vidéos sur les réseaux sociaux.
Conclusion
Pour conclure, on voit bien que l’intimidation est un rapport de force et d’oppression dont les premiers signes sont les petites violences, les petites agressions auxquelles on doit être rendus attentifs. Il s’agit de se libérer du préjugé que cela forge le caractère mais aussi qu’il faudrait apprendre à s’endurcir et prendre confiance en soi.
Extrait de la bande-annonce du film Guerre des boutons (1962) de Yves Robert.
Ce sont autant de discours qui nous empêchent d’être en empathie avec ce qu’endurent les victimes et qui nient le piège dans lequel elles sont prises.
On voit bien que nous ne sommes pas du tout impuissant face au harcèlement scolaire, nous pouvons changer encore beaucoup dans nos pratiques car certaines sont vertueuses et ont fait leurs preuves bien qu’elles soient encore peu étendues en France.
Et pour aller plus loin ...
- Bellon, J.-P. (2021). La méthode de la préoccupation partagée: L’école des parents, n° 641(4), 46‑49. https://doi.org/10.3917/epar.641.0046
- Bellon, J.-P., & Gardette, B. (2018). Harcèlement et cyberharcèlement à l’école : Une souffrance scolaire en réseau (3e éd. actualisée). ESF sciences humaines.
- Catheline, N. (2023). Le Harcèlement scolaire. Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.cathe.2023.03
- Galand, B. (2021). Le harcèlement à l’école. Retz.
- Galand, B., Hospel, V., & Baudoin, N. (2012). Chapitre 7. L’influence du contexte de la classe sur le harcèlement entre élèves. In Prévenir les violences à l’école (p. 123‑136). Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.verho.2012.01.0123
- Guillerm, M., Murat, F., Simon, C., & Traoré, B. (2024). Premiers résultats statistiques de l’Enquête harcèlement 2023 (Document de travail - série études No. n°2024-E02 .). La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP).
- Mélot, C. (s. d.). Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : Mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter (Rapport d’information No. 843). Sénat. Consulté 20 septembre 2024, à l’adresse https://www.senat.fr/rap/r20-843/r20-843.html
- Quartier, M., & Bellon, J.-P. (2020). Les obstacles au traitement du harcèlement scolaire. Le Journal des psychologues, 382(10), 14‑19. https://doi.org/10.3917/jdp.382.0014
- Stahel, T. (2021). Implication des élèves témoins dans le phénomène de harcèlement scolaire : Pour une compréhension systémique. Thérapie Familiale, 42(1), 23‑38. https://doi.org/10.3917/tf.211.0023
- Tolmatcheff, C., Galand, B., & Roskam, I. (2018). Diversité des caractéristiques des harceleurs et implications pour l’intervention en milieu scolaire. Enfance, 3(3), 471‑490. https://doi.org/10.3917/enf2.183.0471
Émission préparée par ...
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- Production : Adeline Houncheringer
- Réalisation technique : Sébastien Boudin
- Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
- Musique et extraits sonores :
- Albarn, D. (2005, mai). All alone: Vol. Demon Days [Interprété par Gorillaz]. Parlophone.
- Bronsky Beat. (1984, juin). Smalltown Boy: Vol. The Age of consent [Interprété par Bronsky Beat]. London Records.
- Hoppus, M., DeLonge, T., & Braker, T. (1999, juin 1). Adam’s song: Vol. Enema of the state [Interprété par Blink 182]. MCA.
- Sirkis, N., & Gérard, O. (2013, mai 13). College Boy: Vol. Black City parade [Interprété par Indochine]. Jive, Epic.
- Remerciements : Merci à Sébastien Boudin et Florence Sauvebois pour leur relectures.