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EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 33 (26/04/2024)

L'école, un asile pour les enfants qui arrivent en France ?

En 2022 les écoles françaises ont accueilli plus de 20 000 élèves ukrainiens, dont Daniel que l’on vient d’écouter. La lumière médiatique est alors mise sur  les dispositifs d'accueil des élèves allophones. 

Cette scolarisation rapide et soutenue par l’opinion publique n’est cependant pas représentative de la situation de tous les enfants allophones qui arrivent en France. 

La convention internationale contre les discriminations en termes d’éducation ratifiée par la France en 1961 énonce que les Etats s'engagent à “accorder aux ressortissants étrangers les mêmes droits d’accès à l’enseignement qu’à leur propre nationaux”. Dans le cadre du droit spécifique des enfants, ces derniers doivent pouvoir être scolarisés partout où ils résident, quels que soient leurs origines et parcours scolaires. 

Ce droit est-il toujours respecté et quels sont les obstacles à sa mise en œuvre ?

Par ailleurs, il ne suffit pas de scolariser les enfants qui arrivent pour leur assurer réussite et équité. Souvent compris comme un groupe homogène, le terme “élèves allophones” recouvre des situations personnelles et sociales très diverses, des parcours scolaires et linguistiques variés. Cette diversité peut-elle être reconnue par une catégorie unique et que produit cette hétérogénéité dans les dispositifs adaptés? 

Quelles sont alors  les difficultés que rencontrent ces enfants et leurs familles dans le parcours de scolarisation ?

Pour le savoir nous avons mené l’enquête.

Le dispositif d'accueil. 

 

Les enfants étrangers et immigrés qui arrivent sur le territoire ont le droit de s’inscrire à l’école et de suivre une scolarité. Cependant il faut que leur niveau scolaire et de maîtrise du français soient évalués pour ensuite leur trouver une place dans les unités d'accueil appelées “unité pédagogique pour élèves allophones arrivant”. Réécoutons ce témoignage d’une enseignante pour le Micro est dans la classe : 

( Extrait de "Le micro est dans la classe, épisode 8 : Les élèves allophones de mai 2018 ) 

En parallèle et en vertu du principe d’inclusion, les élèves sont d’abord  inscrit·es dans une classe ordinaire et suivent les enseignements correspondant au mieux à leurs besoins. 

La question de la langue. 

 

Un élève est nommé EANA (élève allophone nouvellement arrivé) quand il est  identifié comme ayant des besoins linguistiques en FLS (Français langue seconde). 

En effet, la pédagogie du français comme langue étrangère (FLE) ne suffit pas car elle est conçue comme l’apprentissage d’une langue vivante dans un pays non francophone.

Le FLS intègre la langue comme outil de l’acquisition des savoirs, des compétences scolaires et sociales. Le but est ensuite que le français devienne pleinement la langue de la scolarisation qui est liée à chaque discipline  avec ces codes et ses implicites comme l’usage de la voix passive en Histoire-Géographie.

( Extrait du podcast de Ivan Kabacoff  "Inclure : français langue de scolarisation et élèves allophones" pour Hachette FLE) 

On observe déjà une tension: l'intégration dans ces unités peut prendre plusieurs semaines, voire mois selon les places disponibles. Puis,  l’enseignement linguistique occupe plusieurs heures par semaine. Les enfants subissent donc une rupture dans leur scolarité alors même que leur inclusion en classe ordinaire est l’objectif visé. 

D'ailleurs, plus les enfants sont âgés lors de leur entrée dans les classes françaises, plus leur intégration se fait difficilement. On estime qu’il faut près de 7 ans pour raisonner dans une langue étrangère, et Claire Schiff écrit en 2020 qu” un élève arrivé à l’âge de 12 ans a deux fois plus de chance de se maintenir dans le système scolaire quatre ans après la classe d’accueil qu’un élève arrivé à 13 ans”

Les parcours migratoires peuvent être motivés par de grandes ambitions scolaires et professionnelles, les élèves allophones étant alors très investis dans leur scolarité Les désillusions peuvent être alors grandes , notamment pour les élèves qui ont migré tard dans l’espoir de faire des études en France.

Compétences scolaires et orientation 

 

En France, il semble difficile de considérer le plurilinguisme et le multiculturalisme comme une richesse des élèves, au contraire cela est souvent vécu comme un obstacle aux apprentissages. 

La maîtrise de la langue étant vécue comme une priorité dans l’enseignement, les compétences des élèves allophones sont mal évaluées et perçues à la baisse au point que les élèves parvenant à bien répondre aux exigences  sont qualifiés de “bonne surprise”.

Bien souvent leur plurilinguisme et leur niveau scolaire avant l’arrivée en France est difficilement mis en valeur alors qu’il pourrait être un appui précieux justement dans l’apprentissage d’une nouvelle langue. 

Lors d’une enquête menée dans un lycée général de Marseille, les autrices remarquent que les enseignant·es des UPE2A ne sont pas toujours  associé·es au conseil de classe par exemple et il semble qu’un élève allophone soit vu comme “ en difficulté” par nature alors que les 4 parcours de lycéennes analysés  témoignent d’une ténacité et d'une motivation remarquables.

La langue maternelle, un obstacle ? 

 

Mariama Bayo Khalli, chercheuse en sciences du langage, soutient qu’un levier de réussite scolaire pour les élèves allophones serait  la reconnaissance et l’inclusion des langues maternelles à l’école. 

Elle analyse alors le travail mené lors des ateliers  OEPRE “OUVRIR L'ÉCOLE AUX PARENTS POUR LA RÉUSSITE DES ENFANTS”. 

Ouverts en 2008 sous l’égide du ministère de l’intérieur, ils ont pour objectif l’intégration des parents par l’acquisition à la fois de la langue, les valeurs républicaines et la culture nationale. 

Cependant Mariama Bayo Khalli observe que ces ateliers peuvent être l’occasion de prévenir le malaise et le dilemme qui peut saisir les enfants entre langue de la famille et langue de l’école. Il s’agirait de  valoriser les langues parlées à la maison, de les faire voir et vivre. En reprenant par exemple,  les expériences genevoise du Sac d’histoire  :

( Extrait du reportage sur les Sacs d'Histoire du Service Écoles-Médias du canton de Genève) 

La charge mentale de la demande d'asile. 

 

Un obstacle objectif à la réussite est la situation  judiciaire des parents qui demandent l’asile. 

Les enquêtes montrent que les enfants allophones deviennent rapidement, grâce à leur maîtrise de la langue, les soutiens de leurs parents : ils traduisent, remplissent les papiers, accompagnent les proches aux rendez-vous. Outre les absences, l’inquiétude et le stress ne font pas bon ménage avec les apprentissages tout comme les conditions de logement précaire dans les bidonvilles ou squats si ce n’est la rue quand ces derniers sont évacués.

Les familles étrangères qui arrivent sont le plus souvent précaires, voire même dans une situation irrégulière qui les empêche de travailler mais aussi d’envisager sereinement la scolarisation. 

Les établissements et leurs administrations ne doivent alors  demander aucun titre de séjour ou document qui justifierait de la régularité de la situation des parents, bien que cette pratique ait pu se faire. Cela a  inspiré  la circulaire de 2002  qui recadre  “ il n'appartient pas au ministère de l'éducation nationale de contrôler la régularité de la situation des élèves étrangers et de leurs parents au regard des règles régissant leur entrée et leur séjour en France” 

De fait, la scolarisation peut faire peur car les parents redoutent ensuite les convocations policières sans qu’un lien officiel soit établi entre les deux évènements. De même les ateliers OEPRE cités auparavant sont réservés aux parents en situation régulière.

Les mineurs non-accompagnés. 

 

( Extraits d'un reportage TV8 Moselle-Est sur les élèves allophones. Réalisation Margaux Bianco ) 

Les enfants qui arrivent sans parent, les “mineurs non-accompagnés” sont ceux pour qui l'accueil et la scolarité sont les plus difficiles. 

Premièrement parce qu'ils sont plus âgés : la majorité a entre 16 et 18 ans : l'accueil en classe se fait dans des disciplines très diverses, qui nécessitent d’être capable de mener une réflexion en français. 

On les oriente alors plus facilement en lycée professionnel où ils auront moins besoin d’écrire mais aussi, et surtout, parce qu’on y voit un moyen plus rapide de se former et trouver un emploi stratégie liée à la demande de titre de séjour en tant que futurs majeurs. Ce qui peut être vécu comme un déclassement et une déception. 

Par ailleurs, leur droit à la scolarisation est peu respecté car conditionné à leur prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, autrement dit lorsqu’ils sont officiellement reconnus comme mineurs. 

Écoutons un actrice de terrain du milieu associatif : 

( Deux extraits d'une conférence tenue à l'Institut Catholique de Paris : "Les mineurs non accompagnés face au défi de l’accès au droit") 

Cependant la scolarisation est d'autant plus importante  qu’ils sont isolés et dans des situations très précaires et vulnérables. 

En mai 2023 la France a été mise en examen devant le Comité des droits de l’enfant notamment pour sa gestion des mineurs isolés allophones à Mayotte et en Guyane. Les experts de l’ONU soulignent de grandes inégalités de traitement sur ces territoires quant à la scolarisation et l’accès à la nationalité. Ces territoires concentrent une population très jeune dont de nombreux allophones et peu de moyens et de capacités d'accueil.  

Conclusion 

Marie-Françoise Valette, maître de conférence en droit public, constate que le point commun des publics que l’Etat rechigne à scolariser est leur vulnérabilité et leur isolement plutôt que leurs nationalités. 

C’est le cas des enfants porteurs de handicap mais aussi des immigrés précaires, en situation irrégulière ou itinérante. Elle affirme que l’Etat français “ ne respecte pas toujours les obligations qui lui incombent en vertu du droit à l’éducation” rappelant que l’obligation de scolariser ne se confond pas avec l’obligation scolaire qui concerne les parents et tuteurs. 

Le rapport Evascol de 2018 relève également que l’Etat doit scolariser tout mineur qui serait l’objet d’une demande dès 3 ans et jusqu’à 18 ans. 

Pour conclure, la scolarisation des élèves allophones relève du droit des enfants et constitue tant un défi qu’un devoir pour l’Etat français qui s’est engagé à ne pas les discriminer selon leurs origines et leur offrir un avenir.

 

Et pour aller plus loin ...

Accueil des enfants migrants. 

  • Armagnague-Roucher, M. (2018). Enfants et jeunes migrants à l’école de la République : Une scolarité sous tension. Revue européenne des migrations internationales, 34(4), Article 4. https://doi.org/10.4000/remi.11672
  • Buisson-Fenet, H., & Rey, O. (Éds.). (2020). École et migration : Un accord dissonant ? ENS Éditions. https://doi.org/10.4000/books.enseditions.15697
  • Castaingts, É. (2022). UPE2A, OEPRE : Derrière les sigles, l’accueil des migrants à l’école. Hommes & migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires1339, Article 1339. https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.14514
  • Crispi, V. (2020). Les dispositifs d’intégration des élèves étrangers : En Italie et en Suisse, des options significativement différentes de celles de la tradition républicaine française. Administration & Éducation166(2), 185‑190. https://doi.org/10.3917/admed.166.0185
  • Piot, C. (2022). Entre migrations et inclusion : L’accueil des élèves allophones à l’école élémentaire du Peyrouat de Mont-de-Marsan (Landes). Hommes & Migrations1339(4), 11‑19. https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.14507
  • Primon, J.-L., Moguérou, L., & Brinbaum, Y. (2018). Les enfants migrants à l’école française. Accueil, parcours, relégation et expériences scolaires d’après l’enquête
  • Trajectoires et Origines. Revue européenne des migrations internationales34(4), Article 4. https://doi.org/10.4000/remi.11616

 La langue des parents. 

  • Audren, G., Baby-Collin, V., & Valcin, M. (2018). L’école, une ressource pour les populations migrantes. Regards croisés de l’institution et des parents d’élèves dans le centre-ville de Marseille. Revue européenne des migrations internationales, 34(4), Article 4. https://doi.org/10.4000/remi.11751
  • Bayo Khalli, M. (2023). La langue des parents d’élèves migrants et immigrés : Entre exclusion et inclusion pour une coéducation plurilingue réussie. Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne39, Article 39. https://doi.org/10.4000/glottopol.3591
  • Bernardot, M.-J. (2017). Ouvrir l’école aux parents immigrés pour la réussite des enfants (OEPRE) : Un dispositif innovant pour favoriser la réussite scolaire des enfants de l’immigration, resté dans l’ombre. Journal du droit des jeunes366‑367(6‑7), 17‑23. https://doi.org/10.3917/jdj.366.0017
  • Périer, P. (2021). Les parents migrants et le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » : Réappropriation et émancipation: Migrations SociétéN° 185(3), 205‑220. https://doi.org/10.3917/migra.185.0205

Parcours scolaire et orientation. 

  • Baby-Collin, V., Exbrayat, C., & Luna, R. (2021). Trajectoires scolaires et fabrique de l’orientation scolaire de lycéens migrants allophones. Le cas d’un lycée de Marseille. Jeunes et Mineurs en Mobilité - Young people and Children on the Move, 6. https://amu.hal.science/hal-03560675
  • Mendonça Dias, C., & Rigoni, I. (2019). La demande d’asile : Impacts sur la scolarisation de l’enfant et rôles de l’enseignant. Migrations Société, 176(2), 49‑63. https://doi.org/10.3917/migra.176.0049

L'obligation de scolariser. 

Émission préparée par ...

  • Production : Adeline Houncheringer
  • Réalisation technique : Sébastien Boudin
  • Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
  • Musique :
  • Joakim Karuk, Love mode.  
  • Alyona Alyona, & Heil, J. (2024). Teresa & Maria. ENKO.
  • Berry, C. (1957). School Day ( Ring ring goes the bell) [Recorded by C. Berry]. UMG Recordings, Inc, Geffen records.
  • Leon Thomas III, Rex Kudo, & The ANMLS. (2018). Immigrant [Recorded by Belly, M.I.A, & Meek Mill]. Roc Nation records, LLC.
  • Chao, M. (1998). Clandestino [Recorded by M. Chao]. Radio Bemba.
  • Taha, R., & Feterman, T. (2019). Je suis africain [Recorded by R. Taha]. Naïve.
  • Vincent, S. (1970). O-o-h Child [Recorded by Five stairsteps]. Buddah.
  • Remerciements : Merci à Régis Guyon, Florence Sauvebois, Sébastien Boudin et Sandra Myot pour leurs relectures, corrections et propositions. 

 

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