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EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 31 (09/02/2024)

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L'empire de l'enseignement français à l'étranger.

L’expansion de la  scolarisation française à l’étranger est un projet soutenu par l’Etat, une réelle politique étrangère. Or il n’est pas évident qu’une éducation soit vouée à être exportée hors du territoire national et de la société qui y correspond. 

La France n’est pas la seule à avoir un réseau d’écoles à l’étranger, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne ont aussi des établissements dans le monde, subventionnés par les Etats, mais le réseau français hors frontière est le plus étendu, les élèves y sont 3 à 10 fois plus nombreux.

(Extrait interview de Jodie Foster par Brut.)

Les Etats-unis ont aussi un réseau mais composé d’une multitude d’écoles privées qui ne participent pas officiellement à la stratégie diplomatique du pays. 

Ainsi le réseau français a quelque chose d’exceptionnel par son extension et sa gestion par l’Etat et par le plébiscite des ces établissements. Pourquoi ? Que se joue-t-il dans cette scolarité particulière ? Qui sont ces élèves à l’étranger, quels objectifs poursuivent-ils ? Qu’attend l’Etat de cette institution et quels rôles attribue-t-il à ces agents sur place ? 

Pour le savoir nous avons mené l’enquête.

Histoire du réseau

Le réseau actuel des écoles françaises à l’étranger est piloté par cette colonne vertébrale unique qu’est l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, dite AEFE créée en 1990, mais les ouvertures et installations des écoles se font au fil d’objectifs assez divers. 

Les motivations s'inscrivent au XVIIe siècle dans un contexte colonial, au Canada comme aux Antilles, où l’installation des émigrants français se faisait aussi par l’ouverture d’écoles pour leurs enfants et de missions d'évangélisation des autochtones.

Mais de nombreux établissements doivent aussi leur installation à l’exode forcée des protestants français à la fin du 17ème siècle, et plus tard à la volonté de créer une solidarité communautaire avec le juifs d’Orient pour l’Alliance israélite universelle dès 1860.

Au XXème ce sont principalement les professeurs religieux chrétiens exclus de l’enseignement par la loi de juillet 1904 qui partent ouvrir des écoles dans le monde, soutenus financièrement par Rome. 

En réaction est créée la mission laïque française (MLF) pour concurrencer les écoles confessionnelles et soutenir le projet républicain à l’étranger.

Le réseau aujourd’hui: une école sélective et payante, inscrite dans l’économie mondiale

Bien que les origines des établissements soient diverses et liées aux contextes locaux, ces écoles font partie intégrante d'un réseau diplomatique lié aux ambassades et à travers elles au ministère des affaires étrangères. 

L’objectif premier est de scolariser les enfants des ressortissants français à l’étranger et de leur permettre d’obtenir des diplômes français malgré leurs migrations. Mais les élèves français ne représentent qu’un tiers des effectifs, les autres élèves sont les enfants locaux ou étrangers. 

Les écoles françaises à l’étranger sont sélectives : l’entrée aux non français est souvent conditionnée par un test de niveau, mais surtout payante pour tous les élèves.  Ces établissements fonctionnent comme des écoles privées sous contrat voire comme des entreprises qui ont un modèle économique. Seuls les élèves français peuvent alors bénéficier de bourses pour payer les frais de scolarité.

A titre d’exemple, au Maroc, les frais de scolarité annuels représentent 150% du salaire annuel moyen, et 174 % à Pondichéry en Inde. 

Il s’agit donc d'accueillir une élite locale, de scolariser leurs enfants et ainsi favoriser les relations et échanges entre expatriés français et une élite économique et politique sur place. Sur les sites des lycées, le discours est celui d’une école en réseau international : se forme alors dans ces établissements une élite cosmopolite mais socialement favorisée qui se crée déjà un carnet d’adresse local et global.

( Extrait d'un Tiktok de Ambrine @ambrine.hh) 

En outre, plusieurs écoles sont ouvertes à la demande explicite des entreprises comme Total et Michelin et sont conventionnées via la mission laïque française pour accompagner l'installation de ces entreprises. 

Se dresse alors un portrait très particulier de l’éducation française à l’étranger dont le mot d'ordre commun avec l’Alliance française, agence culturelle, semble être celui de construire et maintenir une influence et un certain rang de la langue et la culture française à l’étranger pour des raisons stratégiques.

L’enseignement français à l’étranger est-il alors un bras du “soft power”?

Ainsi l’éducation “à la française” est un élément de culture qui s’exporte pour contribuer au  “soft power”. Le soft power repose sur l’influence culturelle d’une puissance et sa capacité à séduire et attirer selon le théoricien des relations internationales Joseph Nye.

Le résultat est un certain pouvoir de persuasion sans pression militaire ni économique - le hard power. S’il est difficile à mesurer, on estime que le score de la France en termes de soft power n’est pas mauvais et pourrait même concurrencer celui des Etats-unis. 

L’enseignement du français dans de très nombreux pays permet alors l’export de produits culturels comme la littérature, la philosophie et même la musique, il permet d’attirer étudiants, touristes et investisseurs dont les échanges sont facilités. L’obtention de diplômes français comme le baccalauréat permet d’attirer les étrangers dans les universités et ainsi de favoriser une immigration choisie.

Écoles française, francophonie et migration. 

On ne peut comprendre l’attrait des écoles françaises à l’étranger, sans évoquer la francophonie. Aujourd’hui plus de 70% des francophones sont des Africains qui ont hérité cette langue de la période coloniale qu’elle soit langue officielle, langue nationale ou langue des élites urbaines et culturelles. 

( Chronique de Leïla Slimani pour TV5 monde Afrique) 

Encore aujourd’hui apprendre le français est perçu comme un facteur d’ascension sociale. Cela permet une migration plus fluide vers la France pour y travailler et s’installer, surtout dans un contexte ou la nouvelle proposition de loi sur l’immigration renforce le critère discriminant de la maîtrise de la langue pour obtenir un titre de séjour. 

C’est un autre visage de la migration que dresse ainsi ce réseau. Elle est souhaitée et favorisée pour les élèves diplômés étrangers et elle provoque le départ des français à l’étranger sous le statut d'”expatrié”. L’expatriation est souhaitée et soutenue par les pays d'accueil et par les pays d’origine, favorisant ainsi une mobilité des travailleurs “désirables”, . 

Sylvain Beck, sociologue,  dit à ce sujet : cette distinction ( entre expatrié et immigré)  peut être interrogée en termes de privilège dans la liberté de circuler, voire de distinction raciale, ceux désignés comme expatriés étant généralement « blancs »”. 

Ces distinctions se retrouvent  au sein des établissements français comme l’enquête de Giulia Fabbiano le révèle au lycée français d’Alger. L’établissement avait fermé en 1994 pendant la guerre civile et  rouvre en 2002 sous le nom Lycée Internationale Alexandre Dumas. 

La sociologue révèle un ordre social qui rejoue les enjeux coloniaux et raciaux : elle révèle qu’il y ait fait une distinction entre les ( je cite) “ meilleurs professeurs” qui sont des “vrais français” garants du programme et des valeurs de l’école et les autres professeurs. Cette différence ne se fonde pas seulement sur la différence de statut : obtention du concours, statut d’expatriés, résidents ou locaux, mais sur des éléments ethniques. Les professeurs d'origine algérienne ou nord-africaine sont appelés les “bi-nationaux” sans que ce fait soit vérifié et sont soupçonnés notamment de dérive radicale. 

La différenciation est d’autant plus vraie avec les professeur·es algérien·es en contrat local. Les expatrié·es sont logé·es dans le lycée, bénéficient en outre d’une rémunération supplémentaire de près de 5000 euros pour venir enseigner en Algérie et sortent très peu des murs du lycée. Même en salle des professeur·es la ségrégation est visible. 

Fabbiano décrit ainsi les comportements observés qui opèrent un vrai séparatisme : “enfermement, absence de curiosité pour la société locale et pour le pays en général, intérêt pécuniaire comme seul mobile, connivence avec les instances du pouvoir (administration, ambassade, familles aisées), condescendance et mépris pour les Algériens, y compris les collègues.

( Chronique de Slimane Zeghidour, éditorialiste pour et sur TV5 monde Afrique)

Conclusion  

Ce cas particulier permet de délimiter les enjeux sociaux de la présence d’écoles liées aux puissances économiques et politiques étrangères. Conçu comme une entreprise et accompagnant l’expansion d’autres entreprises françaises, les agents y sont fonctionnaires du ministère des affaires étrangères, représentants des intérêts de la France à l’étranger.

Ces lieux permettent aussi des échanges culturels et économiques qui s'inscrivent dans  la mondialisation. Les professeurs n' ont donc pas le même rôle bien qu'ils y pratiquent le même métier, ils deviennent acteurs de l’économie et la diplomatie française à l’étranger. 

Ces présences et influences françaises à l’étranger ont une histoire et portent alors des enjeux qui déterminent les relations avec les populations sur place et rejouent des rapports de pouvoir.

 

 

 

 

 

 

 

Et pour aller plus loin ...

Sur le réseau AEFE 

 

 

Sociologie du réseau français à l'étranger : 

 

Beck, S. (2018). Déconstruire l’expatriation à la lumière de la diversité des statuts professionnels et des profils sociologiques des enseignants français au Maroc. Migrations Société, 174(4), 105‑121. https://doi.org/10.3917/migra.174.0105

Fabbiano, G. (2016). Une cage dorée en situation postcoloniale : Institution scolaire et présence française dans l’Algérie contemporaine. Cahiers d’études africaines, 175‑198.

Soft power et influence culturelle

 

Boulanger, P. (2017). L’Alliance française : Francophonie et diplomatie culturelle au XXIe siècle. Éditions du Cygne.

Gazeau-Secret, A. (2013). « Soft power » : L’influence par la langue et la culture. Revue internationale et stratégique, 89(1), 103‑110. https://doi.org/10.3917/ris.089.0103

Martel, F. (2013). Vers un « soft power » à la française. Revue internationale et stratégique, 89(1), 67‑76. https://doi.org/10.3917/ris.089.0067

Poissonnier, A., Sournia, G., & Le Goff, F. (2021). Atlas de la francophonie : Le français, plus qu’une langue [Carte]. Autrement.

 

Émission préparée par ...

  • Production : Adeline Houncheringer
  • Réalisation technique : Sébastien Boudin
  • Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
  • Musique : Joakim Karuk, Love mode, 
    Moroder, G. (1986). Take my breathe away: Vol. Top Gun [Recorded by Berlin]. Colombia records.
    El Harrachi, D. (1993). Ya Rayah: Vol. Rachid Taha [Recorded by R. Taha]. Barclay.
    Ključo, M. (2011). Oriental Hora: Vol. Klezmer and Sephardic Tunes 33 Traditional Pieces for Accordion. Schott Music Ltd., London.
  • Remerciements : Sébastien Boudin, Régis Guyon, Sandra Myot et Florence Sauvebois pour leurs relectures avisées. 

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