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EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 30 (13/12/2023)

mineurs, prisons, délinquance juvénile, éducation surveillée, protection judiciaire de la jeunesse, enseigner en prison

Les prisons pour enfants : une éducation possible sous la contrainte ?

 

Cet extrait du film Mon frère de Julien Abraham met au jour une contradiction qui anime les débats sur la prison pour enfants :  comment éduquer en enfermant ? Quel sens donne-t-on à l’emprisonnement de jeunes qui sont encore en construction, dont les manques éducatifs et affectifs sont largement observés ? Et quelle place donner à l’enseignement dans cette tension entre éducation et sanction ? 

Pour le savoir nous avons mené l’enquête. 

Petite histoire récente de la justice pour mineur·es

 

Après des expériences malheureuses comme celles de la Petite Roquette à Paris, c’est l’ordonnance du 2 février 1945 fait date et explicite que  “ La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains”. 

S’installe alors une idée nouvelle pour l’époque : l’enfant n’est pas un adulte miniature mais un sujet en devenir dont l’éducation est la priorité absolue quels que soient les faits commis. Cette ordonnance  pose plusieurs principes fondamentaux du droit des mineurs : 

  • D’abord la création d’un tribunal pour enfants, de juges spécialisé·es et de l’Education Surveillée, ancêtre de la protection judiciaire de la jeunesse. 

  • Est fixée aussi l’obligation d’enquêter sur l’histoire personnelle de l’enfant et de ne pas juger seulement selon les faits mais en prenant compte de toute la personnalité. 

  • La détention provisoire ne peut être la norme et doit rester exceptionnelle ainsi que l'incarcération qui doit être de dernier recours quand les solutions éducatives ont échoué. 

Ces principes sont plusieurs fois amendés et mis à mal suite au succès des discours sécuritaires sur la délinquance juvénile : lors de l’apparition des blousons noirs fin des années 50  ou lors de la constitution du problème des jeunes de quartier au début des années 2000.

Les vagues se répètent : peur de la jeunesse, réponse carcérale forte, et constat de l’échec de cette réponse carcérale. 

En 1979 on ferme les centres en déclarant que “l'action éducative des plus jeunes nécessite du temps, des zones de liberté, elle n’est pas conciliable avec le milieu fermé”. 

En 2002, la  campagne électorale est envahie par les discours sur la délinquance juvénile. Dans cette lignée sont créés les nouveaux Centre d’éducation fermés ( CEF) et Établissements Pénitentiaires pour Mineur·es ( EPM). 

La lettre est alors de reconsidérer la contrainte et l’enfermement comme un levier de l'éducation.

Les différentes institutions d'éducation fermée. 

 

Les CEF ne sont pas censés être des établissements carcéraux mais on observe malgré tout grilles, caméras de surveillances, portes verrouillées et fouilles à nu qui exercent une contrainte physique et symbolique forte. Le non-respect des règles peut mener directement en détention, ce qui mène les observateur·rices à les qualifier “d’anti-chambres” de la prison. 

Comme auparavant, l’efficacité de ces centres est mal évaluée et crée une offre qui va faire exploser le nombre de jeunes enfermés au détriment de la diversité des solutions éducatives que proposent la PJJ. 

Les rapports officiels insistent sur la “ banalisation de l’enfermement”, la rapidité des procédures, et la sur-pénalisation d’actes qui autrefois n’auraient pas été poursuivis. 

Suite à plusieurs rapports au sénat et  à la crise du Covid qui réinterroge l’enfermement des jeunes, l’ordonnance de 1945 est abrogée et remplacée en 2021 par le nouveau Code de la Justice Pénale pour les mineurs ( CJPN)  

L’objectif est principalement de limiter la détention provisoire qui concernait  ¾  des mineur·es enfermé·es en 2018 et de redonner sa place au milieu ouvert dans la démarche éducative. 

En effet, l’éducation et l’enseignement en milieu fermé sont rendus difficiles par la contradiction interne entre émancipation et enfermement, éducation et contrainte.

 On peut relever plusieurs défis propres à l’éducation et l’enseignement des mineurs emprisonnés.

 

 Le défi éducatif  

 

L’accompagnement par les éducateur·rices dans toutes les structures fermées ne se fait pas sans heurts. La jeunesse des détenu·es se traduit par l’absence de repères et de limites qui se retrouve à l’intérieur des murs. Le caractère répressif et violent des institutions est mal adapté à la visée éducative. Par exemple, remarquons que les éducateur·rices se doivent d’endosser le rôle de contrôleur judiciaire et ainsi dénoncer tout manquement au règlement.

Peu attractif car mal rémunéré et difficile,  le métier est composé d’une trop grande partie d’agents contractuels précaires peu soutenus et mal connus par les institutions de l'extérieur comme les hôpitaux, les écoles ou la police. La maltraitance y reste un problème entraînant la suspension de plusieurs CEF au cours des années. 

Plus de la moitié des jeunes détenu·es relèvent par ailleurs de la protection de l’enfance et sont dans des situations préoccupantes avant leurs peines : elles et ils sont vulnérables et ont recours à la délinquance comme moyen de subsistance. 

Notamment une partie des emprisonné·es sont des mineur·es non accompagné·es qui subissent une politique plus répressive qui s’explique faute d’hébergement, et d’autres structures qui les protègeraient des réseaux de traite d’humains et des addictions. 

Ces faits cumulés aux déplacements des détenu·es, aux sorties sèches et aux sanctions disciplinaires rendent le suivi éducatif difficile. 

L'institution elle-même est un défi puisqu’il s’agit de réinsérer, voire d’insérer tout court dans une structure qui désinsère selon les mots de Laurent Solini, sociologue.

Les résultats éducatifs sont alors peu probants et les milieux fermés donnent peu d’occasion de réellement réinventer la trajectoire de ces jeunes.

 

Le défi pédagogique

 

Le défi pédagogique est lui aussi particulier et inverse à la dynamique de l’enseignement des majeur·es en prison. Les majeur·es s’instruisent sur la base du volontariat, tandis que les mineur·es sont soumis à l’obligation scolaire. 

L'écrasante majorité des détenu·es  sont déscolarisé·es depuis le début du collège. Il faut donc  faire respecter intra-muros une obligation qui n’est pas respectée à l'extérieur à des élèves très réfractaires qui ont un rapport conflictuel avec l’école. 

En outre, ils sont soumis au rythme des vacances de l'extérieur et peuvent ne pas avoir cours deux mois sur les 4 que dure en moyenne leur incarcération. 

Ces heures d’enseignement  sont  surtout consacrées à la formation professionnelle, à la préparation du Certificat de Formation Générale équivalent au niveau de quatrième ou au Français langue étrangère. 

Face au très faible niveau scolaire et aux limites temporelles, les enseignant·es se concentrent sur l’utile et le temps très court : comprendre une question et savoir y répondre correctement à l’oral par exemple. 

Plusieurs questionnements demeurent : 

 

  • Celui du rôle de l’éducation nationale: le décrochage scolaire est clairement un facteur de la délinquance mais l'institution est encore peu adaptée à l’inclusion de ces décrocheurs. 

  • Celui de la nécessité des milieux fermés dans l’éducation des enfants, éducation peu efficace car contradictoire. 

  • Plus largement se pose la question de la répression visant les mineur·es qui tend à se durcir davantage au gré des discours politiques que de la réalité.

Conclusion 

 

À l’heure où la France est condamnée pour la seconde fois en 3 ans par la Cours Européenne des droits de l’Homme pour ses conditions de détention, il semble intéressant de se poser la question de l’emprisonnement des enfants à visée éducative quand on sait qu’à la sortie de milieux fermés la récidive et le risque de refaire de la prison est très majoritaire.

 

 

 

Et pour aller plus loin ...

Les textes officiels

 

Les ouvrages scientifiques

  • Blanc, J.-M., & Meirieu, P. (2005). Enseigner en prison : D’un exercice exigeant à une authentique gageure. Université Lumière Lyon 2.
  • Blanchard, V. (2019). Les enfants enfermés, une histoire sans fin…. Enfances & Psy, 83(3), 13‑21. https://doi.org/10.3917/ep.083.0013
  • Chantraine, G., & Sallée, N. (2013). Éduquer et punir. Travail éducatif, sécurité et discipline en établissement pénitentiaire pour mineurs[1]. Revue française de sociologie, 54(3), 437‑464. https://doi.org/10.3917/rfs.543.0437
  • Cheval, P., & Guzniczak, B. (2020). Être éducatrice-éducateur en CEF. Les Cahiers Dynamiques, 78(1), 83‑91. https://doi.org/10.3917/lcd.078.0083
  • Febrer, M. (2011). Enseigner en prison : Le paradoxe de la liberté pédagogique dans un univers clos. l’Harmattan.
  • Le Floch-Prigent, L., Madranges, É., Masse, H., & Molle, P. (2020). Repenser la prison. Michalon éditeur.
  • Prisons, O. I. des. (s. d.). Les centres éducatifs fermés, « antichambres de la prison ». oip.org.  https://oip.org/analyse/les-centres-educatifs-fermes-antichambres-de-la-prison/
  • Solini, L. (2017). Faire sa peine à l’Établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur. Champ social. https://doi.org/10.3917/chaso.solin.2017.01
  • Solini, L., & Basson, J.-C. (2014). Intra-muros. Champ pénal. https://doi.org/10.4000/champpenal.8908

 

Les oeuvres citées : 

  • Abraham, J. (Réalisateur). (2019). Mon frère. BAC Films.
  • Graton, Z. (Réalisateur). (2023). Le Paradis. O’Brother Distribution (Belgique), Rezo Films (France).

Émission préparée par ...

  • Production : Adeline Houncheringer
  • Réalisation technique : Sébastien Boudin
  • Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
  • Musique : Joakim Karuk, Love mode

Berger, M. (1978). Quand on arrive en ville: Vol. Starmania [Recorded by D. Balavoine]. WEA.
Casey, & Zone Libre. (2009). Purger ma peine: Vol. L’angle mort. T-Rec.

  • Remerciements : Sébastien Boudin, Régis Guyon, Sandra Myot et Florence Sauvebois pour leurs relectures avisées. 

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