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EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 29 (24/11/2023)

HPI besoins spécifiques surdoué

L'intelligence, un handicap dans le système scolaire ?

La croissance de l’intérêt pour les HPI, personnes à haut potentiel intellectuel, est doublement mesurable : d’un côté on voit apparaître de nombreux articles, émissions et des personnages de fiction comme celui incarné par Audrey Fleurot dans l’extrait que l’on vient d’entendre, de l’autre, les professionnels observent une augmentation sans précédent de demande de diagnostic. 

Est-ce une croissance réelle des cas de HPI ?  Est-ce juste l’effet des diagnostics qui révèlent des HPI jusque-là ignorés ? Est-ce un effet de mode, une fascination pour ce qui est jugé être un “ super pouvoir”  ? 

Qui sont réellement les HPI, quelle est la part de mythe et de réalité quant à leur “potentiel” hors du commun et quelles relations ont les élèves HPI avec l’école ? 

Pour le savoir nous avons mené l’enquête. 

La définition

Une personne à haut potentiel intellectuel c’est d’abord une personne qui a plus de 130 aux tests de Quotient Intellectuel. Pourquoi cette barre des 130 ? Parce que sur la courbe de gausse des QI de la population, seules 2,2% des personnes ont plus de 130 et 2,2 ont moins de 70. Le QI est donc un chiffre relatif au QI général et non un chiffre absolu. On pourrait imaginer que ce chiffre de 130 change si le QI général augmente. Ainsi les personnes HPI sont précoces et rapides dans leurs apprentissages relativement aux autres

Le diagnostic 

Une personne à haut potentiel est alors identifiée par un diagnostic mené par un ou une professionnel·le psychologue qui utilise nécessairement une épreuve psychométrique  nommée Echelle de l'intelligence de Wechsler pour Enfants  de 6 à 17 ans, Wechsler en a aussi élaboré pour adultes. 

Ce sont  des protocoles brevetés internationaux  qui durent plusieurs heures et sont très régulièrement accompagnés de discussions et d’autres tests entre les patient·es et les professionnel·les. Il s'agit d’évaluer l’acquisition précoce de certaines compétences, ainsi que la rapidité de traitement de certaines opérations intellectuelles. 

En effet ce qui définit les personnes à haut potentiel c’est d’abord une plus grande fluidité dans certains raisonnement et une mémorisation plus rapide. Ce qui peut entraîner des décalages lors de la scolarité. 

La scolarité 

En effet, on parle davantage d’élèves HPI que d’adultes HPI car la précocité peut poser problème au moment de la scolarité : on entend parler d’ennui, d’agitations causées par cet ennui, de décalage avec les autres élèves qui est source de mal être à l’école. 

Dans un souci d'inclusion, le code de l'éducation fait entrer en 2005 la prévision d'aménagement pour les élèves “intellectuellement précoces” et corrige cette appellation au profit du terme “élève à haut potentiel” en 2019. Les élèves HPI entrent donc dans la catégorie institutionnelle des enfants “ à besoin spécifique”. 

Cette question du nom est significative : la cause des élèves HPI a commencé par des associations militant pour la reconnaissance des élèves “surdoué·es” au début des années 70, et c’est pour mieux faire accepter ce projet que les associations ont petit à petit abandonné ce terme faisant trop référence au don, au privilège. 

Préférer le mot “potentiel” suggère que ce potentiel pourrait ne pas se réaliser s’il en est empêché.  Cela légitime ainsi l'adaptation des enseignements scolaires pour qu’ils ne fassent pas obstacle à cette promesse du “potentiel” élevé. 

Le discours des associations  se concentre alors sur la souffrance et le malaise de ces élèves dans le système scolaire normal, dressant le portrait d’une école inadaptée et d’élèves en échec scolaire malgré leur potentiel. 

Qu'en est-il réellement? 

L'histoire de la catégorie

L’intérêt et la détection des élèves surdoués a commencé aux Etats-unis et s’est largement développé dans le cadre d’une scolarisation spécifique pour les meilleurs élèves : certaines écoles ne sont accessibles qu’après la réussite à un test psychométrique dès les années 20. Ces écoles sont réservées et élitistes loin de l’image des élèves en difficulté. 

En France l’idée que les élèves “surdoué·es” sont un problème public est plus tardive et doit être argumentée dans un contexte très différent : le projet d’un collège commun, d’une massification de la scolarité et des études dans un projet égalitaire. 

Les premières conférences menées par l’Association nationale pour les enfants surdoués sont mal reçues, les journalistes s’inquiètent de l’indécence d’aider des enfants déjà favorisés mais également de faire reposer sur eux des espoirs de performance et de réussite qui seraient d’intérêt national. 

C’est dans ce contexte que se développe davantage le discours du handicap qui légitime davantage que l’Etat porte attention à ces élèves.

Ce discours est-il alors purement militant ou recouvre-t-il une réalité ? 

Qu’en est-il de l’échec scolaire des enfants ? de leur solitude ? de cette inadaptation qui les rendrait vulnérables dans un système normal ? 

Les biais des études sur les HPI

Le problème de ce discours sur le haut potentiel comme handicap est qu’il est soutenu par des travaux scientifiques dont l’échantillon d’étude est discutable.

Premièrement, ils portent à chaque fois sur quelques dizaines d’enfants,  et ces enfants et leurs parents interrogés sont identifiés par des psychologues et/ des associations. Or ce sont les parents dont la situation des enfants pose problème qui viennent consulter et trouver du soutien dans ces associations. 

À l’inverse, lorsque les études ont lieu sur des milliers d’enfants du même âge à qui on fait passer les tests, puis que l’on observe leurs scolarités , plusieurs constats viennent contredire les croyances communes. 

Les études portant sur des milliers de collégien·nes montrent que : 

  • seuls 20% des élèves à haut quotient intellectuel avaient été diagnostiqués avant la 6ème car ils/elles rencontraient des difficultés scolaires ou sociales, la majorité a donc un parcours qui ne nécessite pas de consulter

  • En outre, ces élèves à haut QI sont très majoritairement en réussite scolaire : 89,5 % passent en lycée général et technologique contre 62% des autres élèves. 

  • Pour finir, une étude de 2022 sur 500 000 adultes montre que le haut quotient intellectuel ne semble pas plus exposé aux troubles anxieux ou à l’isolation sociale au contraire “ lorsque des différences sont observées, elles vont dans le sens inverse” dit Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS en sciences cognitives. 

Le discours sur le  haut quotient intellectuel souffre donc de nombreux stéréotypes qui sont créés par de réelles erreurs de raisonnement : des généralisations abusives à partir d’anecdotes, des diagnostics non professionnelles, de biais d’échantillonnage ou de confirmation laissant les discours les plus spectaculaires gagner sur les informations vérifiées. 

Le problème de l'essentialisation. 

La conséquence de ces fausses croyances sur le haut potentiel est une tendance à l’essentialisation. 

Qu’est ce que cela signifie ? 

Cela signifie réduire la personne à un quotient intellectuel, supposer que son avenir, son potentiel est défini d’avance par ce quotient, que ses échecs et comportements trouvent dans ce fait une cause déterministe, voire fataliste qui enferme les individus. Les personnes à haut quotient intellectuel n’ont pas une nature différente d’intelligence, la pensée en arborescence ou l’hypersensibilité qui leur sont associées  semble être un mythe comme le confirme Stéphanie Aubertin, psychologue neuropsychologue au micro de méta de Choc. 

En outre l’intelligence n’est pas fixe, elle se travaille et nécessite d’être entretenue par l’environnement  et les efforts individuels. Ainsi le diagnostic en lui-même peut être un soulagement comme un fardeau à porter pour les enfants s’ils le voient comme un destin. 

 

L'enjeu socio-économique du diagnostic

Dernier enjeu de ce discours du handicap de l'intelligence: l’enjeu social. Quelles populations s’emparent plus spécifiquement du diagnostic HPI ? et à quelles fins ? 

Si on s’attarde sur les statistiques des enfants diagnostiqués et non sur les chiffres réels des élèves à haut quotient intellectuel, les résultats peuvent être dérangeants : 75 % des enfants testés sont des garçons et les enfants de chefs d’entreprises sont surreprésentés dans les chiffres, tandis que les enfants d’ouvriers sont 10 fois moins présents. 

Comment expliquer cette surreprésentation des classes privilégiées dans la mesure de l'intelligence ? 

La seule hypothèse recevable est que les filles et les enfants d’ouvriers sont moins diagnostiqué·es, on les emmène moins passer un test lorsque ces élèves rencontrent des difficultés. 

Dans la littérature non scientifique on peut lire que les filles seraient plus adaptées au système scolaire, plus aptes à dissimuler leurs compétences pour ne pas se faire remarquer. 

Ce sont des propos à nouveau très essentialistes qui nient qu’on attend des filles des comportements différenciés qui les façonnent et on entend souvent des discours très genrés sur la nature des filles qui poserait moins problème. Mais est-ce la nature des filles qui est différente ou plutôt l’éducation genrée qui laisse plus de place aux troubles masculins ? 

De plus, les tests Wechsel sont longs et peu de psychologues scolaires parviennent à les faire passer à l’école et gratuitement, les parents se tournent donc vers des psychologues privés. 

Wilfried Lignier, sociologue et auteur de La petite noblesse de l’intelligence rappelle qu’un test vaut entre 150 et 250 euros et qu’il n’est pas remboursé. Il interroge d’ailleurs des psychologues qui décrivent recruter une patientèle sûre et lucrative dans les associations de parents d’élèves précoces. 

Il insiste également sur le capital symbolique et culturel nécessaire pour juger que son enfant est précoce et rappelle que “ s'informer sur la notion même de précocité intellectuelle a toutes les chances d'être plus facile dans les familles où les consommations culturelles sont relativement intenses”

Lignier suppose également que cette augmentation des demandes de diagnostic par des familles privilégiées est le signe d’une baisse de confiance en l’école publique et ses critères d’évaluation et de valorisation. Les parents sont inquiets de la capacité de l’école publique à amener tout élève à son maximum, voire à reconnaître l’excellence. 

Conclusion 

Pour conclure, il ne s’agit pas de nier la souffrance et le mal-être d’élèves dans le système scolaire mais plutôt de nuancer avec l’idée que trop d’intelligence serait un handicap scolaire et social.

Il n’y a aucun lien prouvé entre la haute intelligence et le mal-être mais cette intelligence ne prémunit pas pour autant des maux que tous les enfants et élèves peuvent rencontrer dans leurs parcours et qui nécessitent attention,  soin et éducation. 

Et pour aller plus loin ...

Émission préparée par ...

  • Production : Adeline Houncheringer
  • Réalisation technique : Sébastien Boudin
  • Habillage sonore : Adeline Houncheringer, Sébastien Boudin
  • Musique : Joakim Karuk, Love mode
  • Remerciements : Sandra Myot, Florence Sauvebois, Sébastien Boudin et Régis Guyon pour leurs relectures et discussions fécondes. 

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