Montessori, Freinet, ou encore instruction à domicile, les pédagogies dites différentes ou alternatives sont de plus en plus visibles et médiatisées ces dernières années. Que ce soit par la création d’établissements privés, mais aussi par l’introduction de ces pédagogies à l’intérieur du système scolaire, leurs défenseurs militent pour une autre manière d’éduquer, un rapport différent entre enseignants et élèves, une autre vision de la société et des apprentissages.

Si le nombre d’enfants scolarisés dans des structures se présentant comme alternatives, quelques dizaines de milliers, reste relatif, de nombreux parents et enseignants s’intéressent aujourd’hui à ces pédagogies et à ce qu’elles peuvent apporter aux enfants.

Mais de quoi parle-t-on exactement quand on s’intéresse aux écoles et aux pédagogies alternatives ? Et quels sont les défis qu’elles posent à l’institution scolaire ?

Pour le savoir, nous avons mené l’enquête.

des pédagogies pour transformer les individus et le monde

Tout au long du processus de massification de la scolarisation, des initiatives dites différentes ou alternatives voient le jour. Elles se distinguent de l’école dite "traditionnelle" par des manières d’enseigner, mais aussi par une certaine vision de ce que doit être le travail éducatif et ses finalités. Cette idée n’est pas récente, dès le XVIIIe siècle avec Rousseau puis Pestalozzi, des pédagogues défendent d’autres manières d’enseigner.

L’un des courants les plus importants à ce sujet est celui des pédagogies nouvelles  qui s’épanouit au début du XXe siècle. Un philosophe comme John Dewey aux États-Unis ou un militant pédagogique comme Célestin Freinet en France défendent une manière d’éduquer l’enfant dans sa totalité, centrée sur les apprentissages autant que sur les savoirs à transmettre, avec une grande place donnée à l’autonomie et à la coopération. 

Une partie des pédagogies nouvelles et des courants qui en héritent sont profondément marqués par une vision politique de transformation de la société vers davantage de démocratie et de justice. La pédagogie critique développée par Paulo Freire  dans les années 1970 en est un exemple. Pour l’auteur de La pédagogie des opprimés, la pédagogie doit permettre d’émanciper les individus, de leur donner les moyens d’agir sur le monde. La gestion démocratique de la vie de la classe, mais aussi le libre choix des enseignements sont des éléments importants de la pédagogie critique, que l’on retrouve notamment au lycée autogéré de Saint Nazaire ou de Paris.

On le voit bien, ces pratiques pédagogiques sont avant tout des visions philosophiques, et politiques de la société et de l’éducation. Au fil du temps, certaines de ces pratiques ont été absorbées par l’Éducation nationale. C’est le cas notamment de la pédagogie coopérative présentée par Sylvain Connac, professeur des Universités, dans son ouvrage Apprendre avec les pédagogies coopératives  paru en 2009. L’entraide, le tutorat, le travail en atelier sont autant de pas de côtés qui viennent rompre la relation en face à face entre l’enseignant et l’élève, et qui ont aujourd’hui pris leur place dans nombre d’établissements scolaires.

La galaxie des écoles et pédagogies alternatives

À côté des principes hérités des pédagogies nouvelles, on observe depuis une dizaine d’années le développement de pédagogies dites alternatives qui se positionnent contre l’institution scolaire. Cette expression regroupe un ensemble hétéroclite de pratiques d’enseignement qui vont des écoles dites « démocratiques », aux écoles privées traditionalistes, en passant par les écoles Montessori ou Freinet. Sylvain Wagnon, professeur des universités en sciences de l’éducation, parle à ce sujet de "nébuleuse", ou de "galaxie" tellement ces pratiques et leurs fondements (philosophiques, politiques, idéologiques) sont parfois éloignés les unes des autres.

Le récent succès de la pédagogie Montessori, à la fois dans et en dehors de l’enseignement public est un cas particulièrement intéressant. Aujourd’hui, elle semble apporter une réponse pour de nombreux parents, et enseignants soucieux de répondre aux besoins et aux rythmes de l’enfant. Ce succès s’inscrit dans un contexte plus général où l’épanouissement de l’enfant est présenté comme une priorité. Pour Philippe Meirieu, Professeur des Universités en Sciences de l’Éducation, le succès croissant des pédagogies dites alternatives est lié à la fois à désir d’une éducation scolaire qui s’adapte à leur enfant, mais aussi à une méfiance croissante à l’égard de l’EN.

Les écoles Steiner, centrées sur le développement individuel de l’enfant et la nature font partie de ces établissements qui proposent un discours différent et peuvent séduire les parents. Mais ces dernières années, la mission de lutte interministérielle contre les dérives sectaires ne cesse d’alerter sur les risques encourus par les élèves, à la suite de signalements de parents.

Au-delà de la scolarisation dans des écoles différentes, pour certaines familles, la remise en cause de l’éducation scolaire se traduit par le choix de ne pas scolariser du tout les enfants. La non-scolarisation concerne moins d’1% des enfants en âge d’aller à l'école en 2020. Cela concerne à la fois des enfants qui suivent des cours à distance par le biais du CNED par exemple, mais aussi celles et ceux qui suivent un enseignement en famille ou en communauté.

Les écoles dites différentes ou démocratiques, l’instruction à domicile, tous ces exemples même s’ils restent  marginaux viennent interroger le système traditionnel. Parmi leurs points communs, on retrouve le développement personnel, des liens d’autorité moins importants entre enseignants et élèves, ou encore la valorisation d’activités manuelles ou artistiques. Ces écoles illustrent bien l’aspiration des familles à une meilleure prise en compte du bien-être et de l’épanouissement des enfants.

Mais en proposant des offres alternatives, toutes différentes les unes des autres, ces écoles viennent aussi remettre en question l’idée d’une école unique pour tous les élèves de la République.