Depuis une trentaine d’années, les institutions internationales réclament l’inclusion scolaire de tous les élèves, et en particulier celle des élèves en situation de handicap. En France, la loi affirme depuis 2005 le droit de ces jeunes à une scolarisation en milieu ordinaire. Si l’approche inclusive est inscrite dans les textes de loi, son application ne se décrète pas du jour au lendemain. La formation des professionnels, la mise en oeuvre de moyens humains et financiers, sont autant de facteurs qui peuvent freiner l’application de la loi. Alors comment la France relève-t-elle le défi de l’inclusion scolaire et quelles questions se posent aujourd’hui ? Pour le savoir, nous avons mené l'enquête. 

De l'exclusion à l'intégration

Pendant longtemps, l'histoire scolaire des enfants en situation de handicap physique ou mental a été celle d'une séparation, d'une mise à l'écart. Les classes de perfectionnement, devenues classes CLIS puis ULIS, sont un bon exemple de cette idéologie.

A partir de 1909, les classes de perfectionnement sont annexées aux écoles primaires et accueillent les enfants considérés comme « anormaux » ou « arriérés » selon les termes de la psychologie de l'époque. Alexandre Ployé, maître de conférences et responsable du master école inclusive de l'INSPE de Créteil, met en avant l'idéologie qui a motivé ces classes de perfectionnement.

«Le mot est saisissant : « perfectionnement ». Ce sont des petits êtres imparfaits. Ils sont contre-faits, ils sont mal fichus, ils n'ont pas les dispositions qui vont bien pour l'école. Mais en employant de nouvelles méthodes, enseignement en plein air, enseignement manuel etc.., donc tous les canons de ce qui va devenir l'enseignement spécialisé, peut être qu'on va pouvoir les perfectionner et peut-être même pense-t-on qu'on pourra les ramener dans l'école ordinaire le lot commun, une fois que nous les aurons fait rattraper leur retard. »
Ployé, A. (2021, 18 février). Webinaire : La dimension historique de l'inclusion scolaire.  

Tout au long du XXème siècle, on observe la multiplication de dispositifs d'enseignement spécialisé, qui vont prendre en charge les élèves en situation de handicap comme l’école nationale de perfectionnement pour jeunes handicapés moteurs de Garches dans les années 1960. 

« Notre but essentiel est d'instruire parce que plus encore que les autres ces enfants doivent atteindre le maximum de leurs possibilités. Notre objectif essentiel est d'obtenir une intégration sociale parfaite, physiquement, scolairement, matériellement, professionnellement, ... Nous devons absolument mettre ces enfants en état de gagner leur vie. »
Archives INA. Journal Les Actualités Françaises. (1965, 13 octobre).

un nouveau paradigme : l'inclusion

L'enseignement spécialisé perd de son importance avec la mise en oeuvre au niveau international d'un nouvel idéal : celui de l'inclusion scolaire. En 1994 la Déclaration de Salamanque marque un renversement idéologique. Au nom du droit et de l'efficacité, l'école devient obligée d'accueillir tous les élèves, quelque soient leurs besoins éducatifs.

En France, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances ou la loi de 2013 évoquent explicitement l'inclusion scolaire comme un droit pour tous les élèves.

Aujourd'hui, soit les enfants sont directement accueillis en classe ordinaire, soit ils partagent leur temps entre la classe ordinaire et une unité ULIS. Quand cela est nécessaire, ils peuvent aussi être scolarisés dans un établissement médico-social comme les ITEP. 

L'inclusion : limites et questions

Mais cette augmentation statistique ne signifie pas pour autant une inclusion pleine et entière des élèves comme le souligne Serge Ebersold, titulaire de la chaire Accessibilité au CNAM.

« Cela ne veut pas dire que l'augmentation du nb d'élèves avec VPS scolarisés en milieu ordinaire corresponde à une plus grande réceptivité du système solaire. Il y a  vraiment à réfléchir sur la manière dont on peut armer le système scolaire pour prendre en considération la diversité des profils éducatifs et passer d'une école pour tous à une école pour chacun. 
Ebersold, S. (2020, 15 décembre). Ecole inclusive : les enjeux d'une nouvelle dynamique [Webinaire]. 

Le rapport sur l’ École inclusive publié par le CNESCO en 2016 vient confirmer les obstacles qui pèsent aujourd'hui sur cet idéal d'inclusion. Les comparaisons des parcours montrent que les enfants en situation de handicap connaissent davantage d'échec scolaire, de redoublement et d'orientation en lycée professionnel. 

Alors comment expliquer ce constat ?

Cela peut d'abord s’expliquer par le fait que le système scolaire français s'est historiquement construit sur des normes très fortes comme l'autonomie ou l'excellence qui laissent à la marge les élèves qui s'en écartent. C'est ce qu'explique l'anthropologue Charles Gardou, spécialiste des questions de vulnérabilité au micro de Guillaume Erner. 

« Je crois que l'école dont nous sommes issus vous et moi et une école excessivement normative. Il faut être dans la bonne classe, dans la bonne moyenne, sous la bonne toise faute de quoi on se demande si notre place est là. Donc on est issu de ce système qui doit se flexibiliser. »
Gardou, C. (2021, 10 décembre). Handicap : le difficile avènement d'une société inclusive avec Charles Gardon et Pascaline Bon. France Culture.

Ce constat s'explique aussi par un manque de formation de tous les professionnels et par un manque de moyens humains et financiers. A titre d'exemple, les personnels AESH, anciennement AVS, accompagnent les élèves les plus en difficulté et ne sont pas pour cela que peu ou pas formés et leur statut relève d'une grande précarité comme le montre ce reportage de 2016. 

« Le fait d'avoir augmenté le nombre et d'avoir recruté à tout va alors qu'il n'y a pas de formation initiale forcément ça se dégrade sur la fonction d'AVS. Pour connaître les diverses handicaps. On en va pas travailler avec un enfant trisomique comme avec un enfant autiste. 20 heures à 600€ ce n'est pas possible, même seul avec un loyer c'est pas possible. »
Témoignage recueilli au sein d'un reportage de M. Tracshler et G. Grichois. 19/20 centre Val de Loire.

A titre de comparaison, l'inclusion est pensée différemment à l'étranger. L’Italie par exemple a fait le choix de fermer l'enseignement spécialisé en 1970, et de recruter et de former les enseignants de soutien, pour accueillir les élèves en situation de handicap.

Des projets inclusifs portés par les professionnels sur le terrain

En France, malgré les obstacles, il faut cependant noter des avancées certaines. 

D’abord, il existe aujourd'hui un développement de la formation continue et de la production de ressources comme la plateforme Cap École inclusive dévelopée par Réseau Canopé depuis 2019.

Et puis,  des enseignants  proposent des solutions concrètes pour accompagner les élèves. C’est le cas par exemple du projet Handiaccess Scolagri. Le projet utilise le numérique, et en particulier des livres audio pour faciliter l’apprentissage de la lecture pour les élèves porteurs porteurs de troubles de l’apprentissage. Un autre exemple se trouve à Lyon au collège Bellecombe, deux enseignantes spécialisées ont conçu un kit pour sensibiliser les professionnels et les élèves aux troubles du spectre autistique, et ce projet a d’ailleurs fait l’objet d’un reportage pour l'émission Le micro est dans la classe sur Kadékol.

« Les enfants avec autisme dans la cour de récréation souvent on les voir faire toujours le même geste. [...] Faire quelque chose de connu, des gestes ou dire toujours les mêmes paroles ça aide les personnes à se remettre bien. »

Ces projets qui reposent en grande partie sur la bonne volonté des professionnels sont inspirants mais ils posent une question importante : comment passe-t-on de l’affirmation d’un droit, d'une injonction à l'école inclusive, à la mise en oeuvre effective de ce droit dans la réalité .