EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 6 (10/10/2020)
À l'école buissonnière
Les résultats d’une enquête menée en 2011 sont accablants, nous passons 80% de notre temps enfermés dans les bâtiments ou en voiture. Pour le journaliste Richard Louv, beaucoup d’enfants qui vivent en milieu urbain, souffrent même du syndrome du « manque de nature ». Ce syndrome, n’est pas prouvé scientifiquement, en revanche de nombreuses études sérieuses insistent sur les effets bénéfiques de la nature et de l’activité physique sur la santé. Avec le confinement, ce besoin a pris une actualité nouvelle, et depuis les appels pour enseigner dehors se multiplient. C’est d’ailleurs le choix qu’a fait le Danemark lorsqu’il a réouvert ses classes au mois d’avril et ces initiatives commencent à faire du bruit côté français. Alors on a mené l’enquête.
Des colonies de vacances aux premières écoles en plein air (1880-1920)
Selon l’enquête Emploi du temps réalisée par l’INSEE en 2015 , nous disposons en moyenne de cinq heures de temps de loisir par jour, et sur ce temps de loisirs, la moitié est utilisée pour regarder la télévision ou réaliser des activités sur écran. À l’inverse, le temps dévolu aux activités sportives est ridiculement faible, seulement 9 minutes par jour. Dans ce contexte il n’est pas étonnant que les pratiques d’enseignement qui favorisent l’activité physique et le contact avec le plein air suscitent un intérêt grandissant, mais cette modalité d’éducation est bien plus ancienne.
A l’époque où Pierre Perret chantait les colonies de vacances, ces séjours en plein air avaient déjà cent ans. En effet, elles se développent dans les années 1880. À l’époque, elles répondent surtout à des besoins médicaux et sociaux, en prenant soin des enfants les plus nécessiteux pendant la période où ils ne sont pas pris en charge par l’école. Les enfants sont éloignés de la ville, qui est vue comme un lieu dégradé, un foyer de microbes, et envoyés plusieurs semaines à la campagne, au grand air, avec l’idée que c’est la meilleure chose pour leur santé, dans la logique d’une natura mediatrix, une nature thérapeutique.
Mais c’est dans les années 1920, que les écoles en plein air vont véritablement se développer. À la croisée des réflexions pédagogiques, architecturales et médicales, ces établissements sont de véritables laboratoires pédagogiques, des lieux presque utopiques où toute la forme scolaire est réinventée, mais il répondent aussi à des problèmes sociaux, et médicaux très concrets: préserver les enfants de l’air pollué par à l’industrialisation, et favoriser le plein air à une époque ou l’épidémie de tuberculose est la première cause de mortalité des moins de trente ans. En 1922 La Ligue pour l'éducation en plein air tient sont premier congrès international à Paris.
enseigner dehors de la forêt à la ville
Tous ces discours en faveur de la nature imprègnent fortement les esprits des médecins et des pédagogues dans toute l’Europe. En France, c’est le docteur Max Fourestier qui lancer les premières classes de forêt dans les années 1950, avec son équipe ils filment ces expériences nouvelles tant pour documenter leurs pratiques que pour rassurer les parents.
Avec les années, ces pratiques se développent surtout dans les pays scandinaves. En Finlande, ou au Danemark la plupart des écoles d’aujourd'hui proposent une demi-journée par semaine d’apprentissage en plein air, au Luxembourg on trouve même des dizaines d’écoles maternelles et primaires en plein milieu de la forêt.
Mais l’école en plein air peut aussi se faire en milieu urbain. À Québec, l’association 100 Degrés soutient des projets d’enseignement dehors dans lesquels les enseignants utilisent l’environnement local pour ancrer les apprentissages.
« Comment avec l'environnement qui est autour de moi, le milieu, qu'est-ce que je peux trouver pour rehausser les apprentissages ? Alors on pourrait peser des roches, trouver sons dans la cour [...] on va vraiment utiliser l'environnement dans l'activité, on a pas juste amené du matériel et on a fait l'activité à l'extérieur. »
Julie Moffet, coordinatrice de projets à la Fondation Monique-Fitz-Back pour l’éducation au développement durable, à Québec (Canada).
Un enseignement à rebours des tendances actuelles
En France, depuis plusieurs années des initiatives voient le jour avec le soutien de différents réseaux et d’associations très dynamiques. Ce qui regroupe toutes ces expériences, c’est le besoin de proposer une vision alternative de l’éducation, et je pense que c’est cela qui crée autant d’engouement pour ces pratiques aujourd’hui, parce qu’enseigner dehors c’est aller à l’encontre des injonctions éducatives actuelles.
D’abord enseigner dehors c’est laisser une place au risque dans une société qui fait tout pour l’éviter, laisser les enfants grimper dans les arbres et courir près des lacs, c’est accepter de les exposer à des dangers mesurés. Enseigner dehors c’est aussi remettre en question le curriculum et les savoirs valorisés par l’école. Dans les activités en plein air, les compétences les plus valorisées sont souvent l’entraide, la coopération, mais aussi les savoir-faire manuels, des compétences et des savoirs qui ne sont pas tjrs mis en valeur à l’école. Et enfin enseigner dehors c’est donner une place importante aux émotions, aux sensations, mais aussi aux mouvement et aux corps des élèves dans l’espace qui sont d’ordinaire effacés ou oubliés dans la forme scolaire traditionnelle.
« Le corps est le premier médiateur du rapport au monde, c'est très flagrant chez les petits enfants, tant qu'ils ne sont pas encore bien ajustés dans leurs mouvements [...] on sent qu'il faut apprendre avec le corps, une fois que ça semble un peu apaisé quand ils ont 7 ans, 8 ans, on dit que maintenant c'est par les oreilles et par le cerveau que ça passe. On oublie que pour apprendre à être au monde le corps continue encore à travailler [...]. »
Dominique Cottereau, Professeure Associée à l'Université François Rabelais de Tours.
des effets bénéfiques prouvés scientifiquement
Je voudrais terminer cet épisode en vous parlent d’un article paru en février 2019 dans une revue de recherche en psychologie. A la question « Est-ce que les expériences avec la nature favorisent les apprentissages ? », les trois chercheurs de l’université de l’Illinois qui ont passé en revu des centaines d’enquêtes sur le sujet, et leur réponse est claire : les recherches convergent pour indiquer que la nature a des effets très positifs pour plusieurs phénomènes comme la réduction du stress, l’amélioration de la concentration, mais aussi le développement de la coopération, de l’autodiscipline, ou encore de la motivation scolaire et de l’engagement des élèves. Alors êtes vous prêts à faire l’école buissonnière ?
Et pour aller plus loin ...
Des articles sur le sujet
- Chatelet A-M., Lerch D., Luc J-J. (2003). L'école de plein air, une expérience pédagogique et architecturale dans l'Europe du XXème. Éditions Recherches.
- Fauchier Delavigne M., Cherreau M. (2019). L'enfant dans la nature. Fayard.
- Kuo M., Barnes M., Jordan C. (2019, 19 février). Do experiences with nature promote learning ? Converging evidence of a cause and effect relationship. Frontiers in Psychology.
- Noack R. (2020, 16 septembre). Denmark turns to outdoor schools. Washington post.
- Wauquiez S., Barras N., Henzi M. (2020). L'école à ciel ouvert, 200 activités de plein air pour enseigner.
- Zwang A., Girault M-L., Perreau A. (2020, mai). Pour un retour en classe dehors. Cahiers Pédagogiques.
- INSEE. (2015). Enquête emploi du temps.
Des sites utiles
Des vidéos et des podcasts sur le sujet
- Cottereau D. (2017, 10 juin). Éduquer nos êtres au monde. Eudes Poitou Charentes.
- Moffet J. (2019, 10 mai). La classe extérieur, le potentiel pédagogiques des cours d'école. Association 100 degrés.
- INA. (2017, 11 août). Vanves expérimente la classe de neige en 1953.
- France Télévisions. (2017, 14 février). Luxembourg, une école maternelle s'est installée dans la forêt.
Émission préparée par ...
- Production - Rédaction : Diane Béduchaud
- Réalisation technique : Sébastien Boudin
- Habillage sonore : Diane Béduchaud, Sébastien Boudin
- Musique : Joakim Karuk, Love mode
- Remerciements : Anne Françoise Gibert, Claire Giordanengo