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EN QUÊTE D'ÉCOLE : épisode 3 (10/05/2020)

inégalités, école, histoire

Inégalités et méritocratie, le paradoxe français

On entend beaucoup dire que l'école française est impuissante face aux inégalités sociales, que la réussite scolaire dépend pour beaucoup du milieu d’origine, mais d’un autre côté on entend aussi que si on veut on peut, que la France c’est le pays de la méritocratie. Ça ne vous semble pas un peu contradictoire ? Pour comprendre les liens complexes entre éducation et inégalités il faut d’abord se rendre compte que le concept d’égalité d’accès à l’éducation c’est très récent en France, ça fait moins de cinquante ans que les élèves de milieu populaire peuvent accéder aux études longues dans les lycées et les universités, et que les filles et les garçons suivent les mêmes programmes en sciences. Ah, vous me croyez pas ? Alors accrochez vous, je vous emmène pour un petit voyage dans le temps. Première étape, le moment fondateur de l’école républicaine : la Troisième République.

LA TROISIème république : l'école obligatoire, gratuite, mais pas démocratique

Et nous voila en 1871, l’Empire de Napoléon a perdu la guerre contre la Prusse, et la République a été proclamée en France. Tout le pays est encore choqué par la défaite cuisante de l’Empire napoléonien. L’onde de choc se diffuse et fait grandir la rancœur et le doute : les Prussiens seraient donc supérieurs aux Français ? Mais pourquoi ? Et puis, cela dévient évident : le véritable vainqueur de la guerre, c’est l’ instituteur prussien, la raison pour laquelle ils ont gagné, c’est l’éducation obligatoire pour tous les enfants que la Prusse a mis en place depuis un siècle. Les Républicains en sont certains, c’est par l’éducation que la République française va retrouver sa puissance. Et voilà, moins de dix ans après la défaite les lois Ferry, proclament l’instruction gratuite, publique et obligatoire en France, nous sommes en 1882. 

Mais si l’école devient obligatoire et gratuite, elle ne devient pas pour autant démocratique ou égalitaire, le système scolaire créé à l’époque est divisé en deux ordres. Une école gratuite qui accueille la plupart des élèves, et une école payante réservée aux élèves issus de milieux privilégiés. Pour la majorité des jeunes françaises et français l’école obligatoire dure jusqu’à treize ans, l’âge auquel les élèves passent le certificat d’études primaires, parlez en à vos grand parents, je parie qu’ils s’en souviennent encore.

« Autrefois je me rappelle, le certificat d'études c'était quelque chose, on montrait du doigt celui qui l'avait. Mais ce qui était le plus beau c'est quand on disait, ah en voilà un, il a son brevet élémentaire. Oh ça c'était un surhomme [...] »
Extrait INA, « C'est quoi le certificat d'études ? ».

Le brevet élémentaire, c’est l’étape d’après, les élèves qui ont réussi le certificat et qui veulent continuer les études, peuvent préparer en trois ou quatre années le brevet d’études, dans des établissements primaires supérieurs qui sont gratuits. Pour les familles qui ont plus de moyens, l’alternative c’est l’enseignement secondaire, qui permet d’accéder au baccalauréat en sept ans, la différence c’est qu’il est payant. Seule une minorité d’élèves étudie jusqu’au baccalauréat, et entre à l’université. En fait, dans les années 1900, la longueur des études est grandement déterminée par la naissance. Mais à la veille de la Première Guerre Mondiale, la société évolue, les idées socialistes progressent dans toute l’Europe, et de grandes figures intellectuelles s’élèvent contre cette division de l’école et contre les inégalités de la société en général.

« Le moyen le plus rapide de réformer la société, c'est de réformer l'école. Faisons donc l'école meilleure que la société, réalisons entre enfants, ce qui n'est pas, dit-on, réalisable entre les Hommes. Peut-être ces enfants devenus Hommes ne le trouveront plus si difficile à réaliser. » 
Ferdinand Buisson, Article paru dans Le Radical, 1906.

Transformer l’école pour transformer la société, telle est l’idée de Ferdinand Buisson mais l’histoire en a décidé autrement car c'est là que commence la Première Guerre mondiale . En quatre ans, la guerre traverse toute la société, hommes et femmes, de tous les villages et toutes les villes de l’Hexagone participent d’une manière ou d’une autre à l’effort de guerre : « Un peuple qui s'est uni dans la guerre ne peut être divisé dans la paix » (Les compagnons de l'Université Nouvelle)Aux lendemains de la guerre, la création d’un enseignement secondaire unique devient une urgence démocratique pour tout le peuple qui est allé au combat, qui a soutenu les efforts, et qui a souffert sans distinction de classe ou de fortune. Quelques décennies plus tard, les bouleversements sociaux et politiques des années 1960 ouvrent définitivement la voie à un enseignement secondaire gratuit pour tous les élèves : c’est le collège unique qui s’ouvre en 1975.

« Nous allons donc faire le pari, de donner à tous les jeunes français, une formation de bon niveau, jusqu'à la classe de Troisième et pour les préparer à l'avenir, je crois que c'est vraiment une réforme importante, et il est normal que celle ci soit ressentie dans l'opinion. »
René Haby sur TF1, 7 sept 1977, INA.

Dire que l'ouverture du collège unique a été ressenti fortement dans l’opinion est un euphémisme. La réforme Haby fait l’effet d’une bombe, c'est un changement radical et polémique. Un seul chiffre pour la comprendre, en vingt ans les effectifs des lycées sont multipliés par trois! Presque tous les élèves de France ont accès à l’enseignement secondaire et potentiellement accès à l’université. Le lycée et l’université qui étaient réservés à une minorité s’ouvrent à une masse de nouveaux élèves issus de la classe moyenne et populaire. Avec cette réforme l’école se démocratise, mais dans le même temps, elle devient aussi très sélective, une véritable compétition.

MASSIFICATION SCOLAIRE ET INégalités 

Dans une école unique où chacun peut réussir et dans une société où les positions ne sont plus décidées à la naissance, chaque élève devient donc responsable de sa réussite scolaire et professionnelle. C’est d’ailleurs à ce moment là que naît le fameux concept de méritocratie, l’idée que l’organisation sociale serait juste car fondée sur le mérite des individus, leur valeur, leur travail. Ce concept est assez commode d’un point de vue politique et on l’utilise souvent en lien avec l’école, on dit que ceux qui réussissent à l’école c’est parce qu’ils l’ont mérité, qu’ils ont travaillé, et par opposition ceux qui échouent l’ont aussi mérité. Ce concept est utile car il légitime l’ordre établi, et nous rassure mais c’est surtout une illusion. Je vous donne deux chiffres pour vous en convaincre. Aujourd’hui au collège, les enfants d’employés et d’ouvriers sont trois fois plus nombreux que les enfants de cadres supérieurs. Mais si l’on regarde à bac + 6, les enfants de cadres supérieurs sont sept fois plus représentés. Donc statistiquement, la réussite scolaire et l’obtention de diplômes est biaisée par de nombreux facteurs, en particulier l’origine sociale mais aussi le capital économique ou culturel.

Toujours pas convaincu ? Ah je sais, vous avez un très bon ami qui est né en banlieue dans une famille de 18 enfants, et qui a étudié jour et nuit tout en bossant chez Mac Do, et maintenant il est chef d’entreprise, et ça c’est la preuve que quand on veut on peut. Alors cet ami il fait partie de ce que les sociologues appellent les transfuges de classes, ces exceptions à la règle, qui ont elles-mêmes de nombreux facteurs explicatifs et qu’on peut difficilement réduire à la responsabilité individuelle.

Quelles solutions pour une école plus juste en france ?

Bon là j’imagine que je vous ai un peu déprimé. Non seulement l’école française est très inégalitaire, mais en plus la méritocratie ça n’existe pas, bonjour l’ambiance. Mais j’ai quand même une bonne nouvelle. Si on regarde la situation française, il y a quand même des points positifs, le niveau général monte, contrairement à ce que l’on peut entendre, et de moins en moins de jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, ce qui est une bonne nouvelle étant donné le fort lien entre diplôme et stabilité professionnelle. Et puis, si on fait un pas de côté à l’étranger, on voit qu’il y’a d’autres systèmes scolaires qui sont plus justes.

C’est le cas du Portugal, où l’échec scolaire a été divisé par trois en quelques années. D’abord la scolarité obligatoire a été allongée à dix-huit ans contre seize ans en France, ensuite, le redoublement a été interdit et des cours de seconde chance ont été mis en place pour aider les élèves en difficulté, et enfin la formation des enseignants a été considérablement rénovée et des éducateurs ont été déployés en soutien dans certains établissements. Mais le plus intéressant, c’est que dans le même temps, le nombre d’élèves ayant d’excellents résultats a considérablement augmenté. Le Portugal nous montre que la réussite des élèves est le résultat de choix en matière de politique scolaire et sociales.

« Il y a forcément une piste politique, sinon on ferme l'école, y'a des pays qui ont une population aussi hétérogène que nous, par exemple, le Canada, et dont les élèves réussissent beaucoup mieux, et bien il faut regarder, c'est parce qu'on manque un peu dans notre pays d'imagination pédagogique, on croit peu à la pédagogie, mais si certains pays y arrivent, il faut aller regarder ce qu'ils font, s'en inspirer. »
Marie Duru Bellat, France Bleu Bourgogne, 7 Décembre 2016.

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Émission préparée par ...

  • Production - Rédaction : Diane Béduchaud
  • Réalisation technique : Sébastien Boudin
  • Habillage sonore : Diane Béduchaud, Sébastien Boudin
  • Musique : Joakim Karuk, Love mode
  • Remerciements : Samuel Nordmann 

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