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Témoignage de Sylvie Germain, enseignante

Enseignante de maternelle (TPS-PS) depuis près de 10 ans en milieu défavorisé, sensible, où la langue française n’est pas forcément un appui, parfois même un handicap à la compréhension et aux échanges mutuels avec l’enfant et sa famille, il me tardait de mettre en place d’autres situations pédagogiques plus proches encore de mes convictions originelles que le terrain me confirme quotidiennement : c’est en faisant confiance à l’enfant et à ce qui émerge en valorisant sa parole ou son action par une mise en lumière dans le groupe que mon métier prend tout son sens, à savoir : mettre l’enfant en chemin de son propre développement en étendant son champ de conscience motrice, affective et cognitive à travers son savoir, savoir-faire et savoir-être en perpétuelle maturation vers toujours plus d’autonomie, de liberté, de responsabilité. Favoriser l’émergence de cerveaux libres et responsables est certainement très ambitieux pour une enseignante de petite section…par contre, être consciente que certaines situations génèrent des comportements d’aliénation et de soumission et donc entravent le développement harmonieux du cerveau et de son potentiel, me donne une dynamique professionnelle sans égal.

C’est alors que le Plan Science a joué un rôle déterminant…

Tout a commencé par le témoignage de 2 chercheurs invités par notre inspectrice académique de l’époque (décembre 2011) venus nous « rappeler » comment un cerveau qui cherche doit se libérer à un moment donné de ce qu’il pense savoir pour que de nouvelles portes vers d’autres découvertes puissent s’ouvrir…mon cerveau a commencé alors à se mettre en ébullition ! Nous décrivant tous les écueils dans lesquels, nous, enseignants, depuis plus de 40 ans, nous continuons à tomber (concernant entre autre la démarche scientifique) ET nous apportant l’immense espoir de pouvoir faire autrement, situations à l’appui et mise en application immédiate avec, au cœur de la rencontre, un souci permanent de faire exprimer, échanger, émerger nos représentations, les faire se confronter pour étendre nos consciences sur le sujet entre autre, sans parler de la stimulation de nos esprits à découvrir de nouvelles voies…nous étions comme nos enfants-élèves, plein de curiosité et d’enthousiasme à l’idée d’apprendre par nous-mêmes tout en étant guidés…

Ce n’était pas sans me rappeler certaines lectures dans une (autre) vie étudiante, plus théorique que pratique… « Libres enfants de Summerhill » de Neill ou « Liberté pour apprendre ? » de Rogers ou encore « L’homme neuronal » de Changeux, pour n’en citer que 3, ressurgissaient dans un esprit qui avait peine à concilier jusqu’alors une pensée intime très nietzschéenne (le seul maître à bord c’est toi et cela pour chacun de nous, enfants compris) et mon statut de « maîtresse », fonctionnaire de surcroit… lol !

Tout devenait évident, tout semblait simple car respectueux de celui qui apprend, tant le maître que l’élève ! Chacun apprend de l’autre et nous avancerons alors harmonieusement car ensemble.

La structure du rêve ainsi posé, il ne restait plus qu’à se jeter à l’eau…C’était peu de le dire ! En effet, en travaillant sur les bruits de l’eau couplé à un travail plus mathématique de codage, nous avons débouché sur un jeu très connu que je n’utilisais pas en petite section mais dont j’ai découvert l’étendue de sa richesse : le jeu du chef d’orchestre. Tout l’univers de l’école est concentré dans ce jeu : selon si l’enfant est musicien ou chef d’orchestre. C’est passionnant à voir comment les enfants prennent du plaisir à écouter un chef et à diriger un groupe en mode codé, comment l’enfant apprend du groupe et comment le groupe se structure en tant que tel avec tout son rôle de miroir reconnaissant et validant autour de l’enfant au cœur du processus d’apprentissage par changement de rôle et statut dans le groupe.

Avant de déboucher sur ce jeu du chef d’orchestre qui doit donc utiliser un code pour faire jouer ses musiciens dotés d’instruments reproduisant les bruits de l’eau, nous avons longuement (mais pas assez encore ! les tout-petits sont insatiables avec l’eau…) joué au préalable avec l’élément « eau » et écouté ses bruits. Ce fut une étape très constructive pour la suite mais aussi pour moi en tant qu’enseignante de petite section où je favorise les jeux de manipulation, mais où j’avais du mal à faire émerger de leurs manipulations des situations d’apprentissage qui dépassent la « simple » découverte et observation. C’est là que le travail d’équipe, même à distance (puisque les chercheurs de l’IFE de Lyon n’étaient pas toujours présents) a montré toute son importance : tout d’abord rien n’aurait pu se faire sans le regard éclairé et formidablement bienveillant des maîtres formateurs de Dijon en présence dans la classe ; j’insiste lourdement sur ce facteur trop minimisé dans la nécessité de se concerter : la bienveillance, sans laquelle aucune confiance ne peut s’ancrer et donc aucune réelle écoute réciproque ne peut s’installer. On retrouve le même enjeu avec nos élèves : quand la peur de se tromper n’existe pas, se tromper devient un outil comme un autre. Cette expérience a été vécue tout au long de ce projet, tant au niveau des adultes que des enfants. Là encore, enseigner prend tout son sens. Cela a été relégué au plus haut point par nos chercheurs de l’IFE qui, en leur envoyant nos compte-rendu (simples à remplir et très constructifs des séances suivantes pour moi ) ont pu et su me retourner leurs analyses dépourvues de tout jugement, dans un flot continu d’ouverture d’esprit car tout devient important et intéressant dans notre action pédagogique passée au peigne fin : nous en sortons grandis car on nous ouvre les yeux sur les conséquences de telle ou telle intervention, telle ou telle interaction, ce qui permet sensiblement d’affiner notre impact pédagogique en recentrant alors nous-mêmes notre activité. Là encore le rôle de guide est essentielle pour nous : nous avons besoin de regards éclairés et éclairant comme nos maîtres-formateurs et nos chercheurs de l’IFE pour maîtriser encore mieux nos choix pédagogiques, qui restent nos propres choix mais plus conscients. Là aussi nous pouvons extraire une grande leçon d’humilité face au rôle de la guidance qu’il devient si juste d’entreprendre aussi face à nos élèves : « ouvrir » leur champ de conscience et non « diriger » leur champ de conscience afin que leur potentiel s’anime, essentielle source de vitalité mentale à mon sens.

 

Un grand merci pour cette dynamique dans le travail plus qu’un résultat de travail. Je ne sais pas si ma séquence peut s’exporter, car elle est très dépendante de mon champ personnel de conscience (restreint pour certains, large pour d’autres…) et des enfants singuliers et chaque année différents. Cependant, cela invite hautement à explorer la richesse du travail de groupe avec des individus venant d’univers différents pouvant ainsi poser un regard nouveau et stimulant sur notre activité permettant un ajustement constant enseignant-enseignés dans à la fois une très grande liberté pédagogique et un profond respect de l’enfant-élève. J’ose espérer que cette collaboration puisse se poursuivre … encore merci !

 

Sylvie Germain

enseignante à l’école maternelle Alsace à Dijon

en toute petite-petite section (2 et 3 ans)

mars 2013