Ce que l’écrit fait au sujet parlant ! Un cheminement intellectuel
La sociologie décrit, de façon convaincante, les inégalités face au système scolaire. L’individu, fabriqué socialement, est le lieu de forces et de contre-forces (Lahire, 2013, 12). Par conséquent, l’adjectif « social » réfère à des rapports de force, mais aussi et surtout à des interactions sociales qui sont langagières. Le recours à la linguistique, pour distinguer dans les pratiques sociolangagières (Bautier, 1995) ce qui cristallise les inégalités au détriment de la réussite scolaire, est éclairant à condition de le relier à la notion, strictement anthropologique, de « littératie », relative aux conséquences de l’invention de l’écriture, comme technique intellectuelle. Le « rapport au langage » né dans la parole et transformé par l’écrit crée une fracture dans les pratiques langagières qui explique comment des inégalités d’écriture de nature sociale vont apparaitre historiquement. Si, le constat n’est pas tout à fait nouveau, le détail des conséquences de ce constat, analysé du point de vue de la linguistique de l’acquisition ouvre des perspectives dans le domaine « scientifique » de la cognition. Cette recherche voudrait apporter une contribution théorique à l’ouverture d’un tel chantier. Son ambition est de tenter de répondre à la question suivante : Comment les pratiques langagières de chaque élève se transforment-elles en pratiques littératiées, c’est-à-dire en pratiques cognitives (dites aussi secondarisées) ?
[2012] Du parlé à l'écrit dans les études : ouvrage
L'Harmattan, Paris
Collection sémantiques
Comment comprendre les inégalités d’écriture au lycée ? L’analyse des pratiques orales et écrites dans
l’apprentissage de l’argumentation permet d’engager la recherche vers une théorie de l’articulation entre ces
deux pratiques, dans une perspective énonciative et cognitive. Prendre en compte la variété des modes de
communication se révèle incontournable pour répondre à l’urgence sociale d’accès de tous aux études
secondaires puis universitaires. La confrontation d’une réflexion à partir de références anthropologiques,
sociologiques et historiques de l’écriture et d’une étude de corpus, fait émerger une opposition entre la forte
tendance prédicative du parlé et la thématicité de l’écrit. Cet aspect, peu exploité dans l’enseignement de l’usage
de la langue dans les apprentissages, oblige à penser que, si les variantes énonciatives s’inscrivent dans un
continuum, leur appropriation impose au lycéen une plasticité énonciative qui relève de la psycholinguistique.
[2016] CE QUE L’ÉCRIT FAIT AU SUJET PARLANT : ouvrage
L'Harmattan, Paris
Collection sémantiques
Qu’est-ce qu’apprendre à écrire à l’école quand on parle déjà dans sa famille ? Qu’est-ce que cela change ? Les habitudes de parler, de penser, de concevoir, ou rien ?
L’anthropologie de l’écrit, par la notion de « littératie », permet de faire du « rapport au langage » de chaque sujet énonciateur le lieu de la lutte contre les inégalités scolaires. Né dans la parole, ce rapport est réinterrogé par l’écrit, ce qui ne va pas de soi. Or, la réussite scolaire dépend de la transformation des pratiques langagières quotidiennes en pratiques littératiées, ce qui transforme le rapport au moi, au savoir et au monde.
L’observation des situations d’enseignement et l’analyse des productions écrites de lycéens montrent que la nature de cette transformation est énonciative dès un oral fondé sur l’écrit (Morinet, 2012), mais invisible à qui n’y est pas sensibilisé. Le défi à relever, à la fois intellectuel et empirique, n’est pensable que par une élaboration théorique tenant compte de l’hétérogénéité des interactions langagières dans les situations d’enseignement et des particularités énonciatives de la socialisation scolaire dont dépend le développement intellectuel. Le traitement de ces points montre que les sujets parlant acquièrent une flexibilité énonciative, induite par les pratiques écrites, dans l’appropriation, puis dans la construction des connaissances qui est une ouverture à un autre rapport à soi. L’enjeu démocratique de ce « jeu » dans le « je » est central à une époque où la tentation du communautariste augmente.