L’exposition « La France de 2040 » a été conçue à partir des travaux entrepris dans le cadre du programme « Territoires 2040, aménager le changement ». Pour en rendre compte des cartes ont été produites afin de réinterroger nos manières de voir et de comprendre le territoire français. Afin de susciter le questionnement ces cartes ont été produites en utilisant de nouveaux codes et la construction de nouvelles images. En proposant d’appréhender la complexité des réalités territoriales par ces outils, il s’agit d’inventer des formes de réflexion et de discours qui stimulent l’esprit critique en posant des questions clefs.
3 facteurs de changement
Les planches cartographiques mettent en exergue des exemples de facteurs qui agissent à l’échelle mondiale et transforment en profondeur les territoires français.
1) Démographie mondiale et vieillissement
La population mondiale compte aujourd’hui 7 milliards d’individus. Depuis 1980, elle a connu une croissance de près de 60%. En 2040, selon les projections de l’Onu dans son scénario de « fertilité moyenne », elle atteindrait plus de 9 milliards d’habitants.
Le continent européen connaîtra également, dans les 30 prochaines années, un vieillissement général de sa population, particulièrement prononcé dans les pays de l’Europe de l’Est et de l’Europe centrale. selon la projection centrale de l’Insee, la France serait moins affectée. Elle compterait en 2040, 18,7 millions de personnes de plus de 65 ans, lesquelles représenteraient 25,6% des 73 millions d’habitants, contre 16,3% aujourd’hui. Les plus de 80 ans passeraient de 3 à 7 millions.
2) Urbanisation, paysages et artificialisation des sols
Aujourd’hui, 50% de la population mondiale est urbaine. selon l’Onu, ce taux atteindrait 64% en 2040. A l’origine de cette évolution, il y a souvent la recherche de moyens de subsistance ou d’une meilleure qualité de vie.
En France, selon le recensement de l’Insee de 2008, 95% de la population vit désormais sous influence urbaine. Parallèlement à la croissance des villes, se dessinent autour et entre celles-ci, de vastes espaces dits péri-ubains, dont les habitants ont non seulement adopté des modes de vie citadins mais sont également liés à la ville par leur emploi et leurs pratiques quotidiennes.
L’urbanisation des campagnes suscite d’autres interrogations : l’étalement urbain et ses conséquences en termes d’artificialisation des sols et de consommation de terres agricoles ; la mutation culturelle, sociale et économique de l’espace rural ; la transformation des sites.
3) Les territoires français face au changement climatique
La situation « actuelle », dite de référence, a été établie à partir des températures moyennes enregistrées ces 30 dernières années. La seconde carte repose sur le scénario économique et environnemental A1B, dit médian, des trois scénarios produits par le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC). Elle projette et territorialise le niveau de températures qui pourrait être celui du territoire français en 2050. Par souci de cohérence, elle a été réalisée en partant de la moyenne des températures simulées sur 30 ans, entre 2036 et 2065.
Le changement climatique est aujourd’hui un phénomène avéré. qu’on en attribue la cause à l’intensification des activités humaines émettrices de gaz à effet de serre ou à des processus naturels, il influence de nombreux paramètres climatologiques : températures, précipitations, régimes éoliens, aléas extrêmes. Les effets qui en résultent sur les territoires sont mieux connus : fonte des glaciers, diminution de l’enneigement, sécheresse, inondation, feux de forêts, montée du niveau des eaux mais aussi nouvelles possibilités de culture, etc.
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8 scénarios pour 2040
Huit thématiques ont fait l’objet de l’investigation prospective. Pour chacun de ces sujets différents scénarios possibles ont été exposés. Ces avenirs possibles fournissent autant d’outils pour soutenir des réflexions et des débats. Ces représentations géographiques originales soulignent la multiplicité des trajectoires qui pourraient être suivies par les territoires qui le composent.
1. L’urbain métropolisé français dans la mondialisation
Métropolisation et urbanisation ont partie liée : elles produisent une nouvelle géographie mondiale en même temps qu’elles transforment en profondeur le territoire français. Ces espaces métropolitains constituent des atouts majeurs pour la France en termes de compétitivité et de rayonnement.
Des scénarios possibles, en 2040 :
Hyperpolisation : en France s’est constitué « hyperpolisé ». Chaque nœud métropolitain hautement compétitif et créatif est inséré dans l’économie mondiale et spécialisé dans des secteurs d’excellence. Ces « hubs » sont connectés entre euxgrâce à des réseaux de transport et de communication performants.
Regiopolisation : une forte autonomisation locale conduit à une recomposition du découpage territorial français. Se constituent quelques «régiopoles », macro-régions à dimension européenne s’appuyant sur un réseau urbain métropolisé.
Postpolisation : la métropolisation et l’individualisation des modes de vie ont bouleversé le territoire national, entraînant une périurbanisation généralisée et l’avènement du néo-pavillonnaire «naturalisé». Des politiques ciblées maintiennent quelques centralités principalement pour le fonctionnement des grands services collectifs.
Dépolisation : une intense déprise des centralités et des zones denses a eu lieu, permise par l’avènement des réseaux numériques. Elle a abouti à une nouvelle organisation spatiale très peu hiérarchisée, qui se substitue au modèle urbain classique « centre-périphérie ».
2. Les systèmes métropolitains intégrés
Les métropoles sont des agglomérations urbaines, importantes en taille et en population qui, dans le jeu de la mondialisation, captent et concentrent les flux. Spatialement, les métropoles se développent selon un double processus : la polarisation des populations, des activités, des services, de la richesse, d’un côté ; l’extension de leur aire d’influence de l’autre, laquelle passe par un étalement urbain et un élargissement du périmètre de captation de ressources très diverses (énergétiques, agroalimentaires…) qui leurs sont nécessaires.
Des scénarios possibles, en 2040 :
La mercapole : la globalisation et la dérégulation sont généralisées. Les métropoles sont hégémoniques : elles forment de vastes plaques, reliées
par des flux et des circuits logistiques performants, et imposent leur primauté aux autres territoires.
L’antipole : l’économie française s’est resserrée sur les secteurs agroalimentaire et touristique. La décroissance fait figure de nouveau
modèle. Les grandes agglomérations françaises – sauf paris – sont sorties de la métropolisation.
L’archipole : la déglobalisation économique s’accompagne d’un contrôle des flux de marchandises, de capitaux et de main-d’œuvre. Les crises énergétique et écologique ont contribué à ce retournement de tendance. Les vastes espaces métropolitains sont dotés
d’instances de gouvernement et de technostructures efficaces, aux compétences élargies.
3. Les villes intermédiaires et leurs espaces de proximité
Les villes intermédiaires occupent une place centrale dans l’armature urbaine française. Avec des populations comprises entre 30 000 et 500 000 habitants, tour-à-tour ville chef-lieu, ville industrielle dans un bassin d’emploi ou grande agglomération à rayonnement régional, celles-ci assurent un rôle d’intermédiation territoriale.
Des scénarios possibles, en 2040 :
Les communautés : le coût de l’énergie limite drastiquement les déplacements. Les villes intermédiaires se replient sur elles-mêmes et leurs espaces de proximité. En leur sein, des phénomènes de fragmentation spatiale accompagnent les logiques communautaires.
Les laboratoires verts : le volontarisme politique a permis localement l’avènement de l’économie de la frugalité. Les villes intermédiaires ont tiré leur épingle du jeu en imaginant à leur échelle des solutions intégrées, peu émettrices en gaz à effet de serre et économes en énergie.
Les spécialités : les villes intermédiaires se sont organisées pour valoriser leurs ressources sous forme de paniers de biens et de services. Elles disposent d’une autonomie suffisante pour bâtir des projets qui leur permettent de prendre position dans la compétition économique.
Les satellites : les métropoles ont acquis une position dominante. Elles ont délocalisé leurs unités de production dans les villes intermédiaires, se donnant ainsi des marges de manœuvre foncières pour poursuivre leur développement urbain.
4. Les espaces périurbains entre ville et campagne
En 50 ans, la périurbanisation a dessiné en France un espace qui suscite aujourd’hui de nombreux débats. sa définition même – selon l’Insee, est dite « périurbaine » toute commune dont plus de 40% de la population part travailler dans un pôle urbain – est loin d’en épuiser le sens. Il s’agit de fait d’un
espace hybride entre ville et campagne, à la morphologie diverse (couronnes, corridors…) et caractérisé par sa fonction résidentielle dominante.
Des scénarios possibles, en 2040 :
Le corridor : la périurbanisation a cessé. Le coût élevé de la mobilité, les contraintes environnementales et les règles d’urbanisme réaffirmées, ont mis fin à la dispersion. Le couple « état-pouvoirs d’agglomération » a réussi à promouvoir le modèle urbain compact et concentré.
La nébuleuse : la périurbanisation est la modalité dominante d’organisation de l’espace. Les technologies de l’énergie renouvelable, du recyclage des ressources et de la gestion environnementale autorisent la dispersion, la dédensification et le confort spatial.
Le rivage : le périurbain est l’espace de vie entre la ville et la nature. Il est reconnu pour la qualité de son cadre de vie et fait l’objet de labellisations et de certifications.
La synapse : dans un contexte d’intensification des échanges entre les aires urbaines et de forte mobilité, l’espace périurbain est celui de l’intermédiation entre les places centrales et de la coordination entre les territoires.
La réserve : dans un contexte de très fortes contraintes environnementales, les villes ont besoin d’espaces techniques périphériques pour gérer leur fonctionnement écologique (énergies renouvelables, eau, air, recyclage, production alimentaire,…). Le périurbain est cet espace technique qui permet l’existence de la ville dense.
5. Les espaces de la faible densité
La France de la faible densité forme un ensemble territorial réduit sur le plan démographique (6,5% de la population métropolitaine) mais prépondérant quant à la surface utile qu’il recouvre (plus de 42%). Elle se caractérise par une occupation humaine discrète (≤ 30hab/km²), une faible empreinte des infrastructures, des activités productives dominées par la valorisation de l’agriculture et de la forêt, des paysages ouverts.
Des scénarios possibles, en 2040 :
Repli communautaire : on assiste à un retour du « rural » au sens traditionnel, caractérisé par la sédentarité et des cultures dédiées à l’approvisionnement local à côté.
Plateforme productive : les espaces de faible densité sont mis à contribution et fournissent bio-ressources et compensation carbone. Pour maximiser leurs usages productifs et permettre l’approvisionnement des villes, on a largement fait appel à l’automatisation et à un travail saisonnier souvent précaire.
Absorption : les espaces agricoles et naturels sont mités et ceux qui restent se spécialisent pour accueillir des activités génératrices de nuisances rejetées par la ville.
Système entreprenant : grâce au capital relationnel des espaces de faible densité et aux télécommunications, ceux-ci parviennent à promouvoir des marques territoriales et à développer de nouvelles filières commerciales (alicaments, produits culturel,…).
Avant-scène des villes : la découverte de ressources offre aux espaces de faible densité des opportunités autres que productives. Les plus remarquables deviennent un élément clé de l’attractivité des métropoles.
6. Les espaces de développement résidentiel et touristique
Certains lieux sont dédiés au travail, d’autres aux loisirs ou à la consommation, les derniers à l’habitat. De plus en plus éloignés les uns des autres, leur développement résulte de l’essor des mobilités et de pratiques aménagistes qui ont longtemps favorisé la spécialisation fonctionnelle.
Des scénarios possibles, en 2040 :
Les oasis : la rareté énergétique impose une réduction des mobilités et une ré-agglomération des lieux de travail, résidence et loisirs. Cette situation est rendue possible par des politiques de densification et de gestion économe.
Les sphères : on assiste à une spécialisation fonctionnelle encore accrue des espaces qu’occupent sans se côtoyer étudiants, employés, cadres, ou touristes. Cette situation renforce le sentiment d’appartenance aux lieux de résidence, les lieux de travail étant désertés hors des heures ouvrées.
Absorption : les espaces agricoles et naturels sont mités et ceux qui restent se spécialisent pour accueillir des activités génératrices de nuisances rejetées par la ville.
Les spots : on assiste à un accroissement des pratiques individualistes et consuméristes. La frénésie de mobilités provoque la déconnexion
des individus aux territoires. Les nœuds de transit se spécialisent.
Le web : l’hyperconnexion à Internet transforme notre rapport au monde. Le territoire est peu investi par ses habitants car il est possible de disposer d’un accès illimité à tout sans se déplacer. La production est délocalisée.
7. Les espaces de la dynamique industrielle
La dynamique industrielle (services marchands aux entreprises compris) représente 22% de l’emploi total et de la valeur ajoutée du pays. Elle ne se réduit pas à l’image traditionnelle incarnée par de grandes unités de production. L’évolution de la dynamique industrielle et de la géographie de ses activités, se traduit par une croissance de la dimension immatérielle, la recomposition des chaînes de valeur ou encore les multilocalisations.
Des scénarios possibles, en 2040 :
Industrie verte : l’économie industrielle se construit autour d’offres de biens et de services à forte valeur ajoutée sociale et environnementale. L’amélioration des performances productives a laissé place à une meilleure utilisation des ressources disponibles
Effervescence : les préoccupations sociétales dans les domaines de la santé, du cadre de vie ou de l’environnement, encouragent l’apparition d’innovations dans ces secteurs. Celles-ci participent à une dématérialisation de l’économie se basant désormais sur le contenu informationnel du bien et du service..
Citadelle : quelques grandes entreprises spécialisées et innovantes forment des « citadelles » insérées dans des réseaux mondiaux d’entreprises globales.
Alter industrialisation : une économie de proximité se développe qui est symbolisée par une relocalisation des activités industrielles et l’émergence de secteurs répondant aux attentes de « consommateurs responsables ».
8. Les portes d’entrée de la France et les systèmes territoriaux des flux
La mondialisation, et son expression territoriale la plus courante, la métropolisation, dessinent des territoires marqués par la circulation et l’échange. Ces nouveaux territoires sont traversés par des flux de toutes natures (navetteurs, touristes, marchandises, informations, capitaux) et s’organisent à partir de « portes d’entrées ».
Des scénarios possibles, en 2040 :
Polarisé : Un système polycentrique s’organise autour d’un nombre restreint de métropoles et de portes d’entrée globales fortement interconnectées.
Dilué : grâce à l’explosion des TIC et des possibilités d’ubiquité qu’ils offrent, la mobilité est réduite et les déplacements s’opèrent principalement sur de courtes distances.
Archipellisé : pour préserver les ressources environnementales, la mobilité des individus est limitée sur les grandes distances. Les flux sont essentiellement constitués de marchandises et sont décuplés. Dans ce système constitué de cités-Etats, de grands groupes privés contrôlent les circulations (taxes, péages).
Fluidifié : la société est devenue nomade. Les mobilités intenses transforment les réseaux de transport en nouveaux lieux de vie.
4 enjeux stratégiques pour l’aménagement des territoires
Quatre enjeux du territoire ont été identifiés à partir de ce travail de prospectives pour imaginer des politiques ambitieuses en faveur de l’égalité et de l’aménagement durable des territoires.
1) L’affirmation des usages sociaux dans les politiques d’aménagement
Construire les territoires de 2040 oblige à poser dès aujourd’hui la question de la finalité de l’aménagement. s’agit-il de considérer les territoires pour eux-mêmes, ou bien comme des moyens visant à accompagner les nouveaux usages et rythmes sociaux tout en favorisant la justice spatiale et l’égalité des citoyens ?
En effet, ce sont de plus en plus les habitants et leur pratiques professionnelles, résidentielles, récréatives, estivales, etc. qui construisent l’espace de notre société : la logique territoriale, ses périmètres, ses modes d’organisation et d’exercice du pouvoir, sont souvent dépassés, au point que la concordance d’intérêts entre les territoires et ses acteurs, n’aille plus toujours de soi.
2) La mise en capacité des territoires
Construire les territoires français de 2040 oblige à poser dès aujourd’hui la question de leur développement dans un contexte incertain. La mise en capacité des territoires vise à faire mieux avec moins, autrement dit, à rendre plus efficientes les fonctions exercées par les territoires, de l’habitat à la mobilité, de l’éducation à l’innovation, en passant par la production économique ou la préservation des espaces naturels.
Il s’agit d’adapter les moyens mobilisés aux besoins réels des territoires, lesquels dépendent des modèles de développement singuliers qu’ils ont adoptés.
3) La participation des territoires français à la fabrique du Monde
Construire les territoires de 2040 oblige à poser dès aujourd’hui la question de leur contribution respective à la consolidation de la place de la France dans le monde. L’avènement de cette échelle de référence résulte de la globalisation économique et de la multiplication des échanges internationaux de personnes, de capitaux, de biens et d’informations.
Elle ne peut cependant être comprise sans tenir compte de l’urbanisation qui homogénéise les systèmes de valeurs et réorganise l’espace des sociétés en faisant des métropoles, ou grands systèmes urbains, des lieux centraux, à la fois connectés entre eux et porteurs de dynamiques contemporaines structurantes qui ordonnent les espaces de plus en plus vastes placés sous leur influence.
4) La valorisation des biens communs écologiques, fonciers, numériques…
Construire les territoires de 2040 oblige à poser dès aujourd’hui la question des biens communs qu’il est nécessaire de cultiver pour assurer notre développement et garantir nos conditions d’existence dans la durée. Pression démographique, pollutions et émissions de CO2, variabilité climatique, diminution de la biodiversité, artificialisation, confl its d’usage, les tensions sur notre environnement sont connues.
Il reste que les changements de comportements sont longs et difficiles à mettre en œuvre, dans une société de consommation qui a distendu le rapport des territoires et des individus aux ressources primaires. Pourtant s’annonce une mutation radicale, celle où l’homme « maître et possesseur de la nature » est remis en question au bénéfice d’un rapport équilibré entre l’homme et son milieu.