Définition

Définition 2017-11-23T18:32:18+01:00

Qu’est-ce que la prospective territoriale ?

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Avec son demi-siècle de pratiques, la prospective est devenue une composante indiscutable de notre paysage institutionnel, politique et territorial. L’entrée de cette démarche dans les collèges et lycées pour contribuer à l’enseignement de la géographie et du développement durable ouvre une nouvelle page de son histoire. En effet, ce passage du territoire à la classe, de l’aménagement et de l’urbanisme à l’enseignement, est plus qu’une simple extension de son domaine d’activité. Matériaux et méthodes de réflexion prospective conçus dans les territoires vont enrichir l’arsenal pédagogique des enseignants et diversifier les modes d’apprentissage des élèves.

La prospective et l’aménagement du territoire

La prospective territoriale est consubstantiellement liée à l’aménagement du territoire. Lorsqu’après-guerre se joue la reconstruction du pays et que s’ébauchent les principes et outils de l’aménagement du territoire, la prospective, au même titre que la planification, fait partie de ces derniers. Le souci de l’avenir est alors manifeste. Il s’agit d’anticiper, de prévoir, de se donner les moyens de penser le long terme en tentant de répondre aux enjeux d’une modernisation et d’un développement équilibré du pays. Cette parenté historique entre la prospective d’un côté, la prévision et la planification de l’autre, ne saurait amener à les confondre. La prospective, au contraire de la prévision, suppose que l’avenir ne peut être connu malgré l’essor des outils et méthodes prévisionnels, de la statistique d’hier à la modélisation jusqu’au big data. Le futur est fondamentalement incertain et nécessairement à construire : il engage pleinement notre liberté et notre responsabilité.

Des pratiques prospectives de la Datar à celles des collectivités

Les premiers exercices de prospective territoriale sont portés par la DATAR à partir des années 60. Cette activité s’est poursuivie jusqu’à la disparition de la délégation en 2014 dont le  dernier programme fut « Territoires 2040 ». Progressivement s’invente une façon particulière, culturelle, d’envisager l’avenir territorial, avec des outils, des méthodes, des savoirs, savoir-faire et même des savoir-être qui peu à peu vont constituer l’ingénierie prospective. C’est néanmoins à partir des années 90 que la prospective territoriale connaît un véritable essor : les collectivités locales prennent en main leur destin ,elles doivent construire des projets de territoire et voient dans la prospective un outil à la mesure de ce défi. Cette appropriation ouvre la voie à un enrichissement de l’approche prospective : il ne s’agit plus seulement de travailler avec des scientifiques et experts, mais avec les acteurs territoriaux eux-mêmes. Aux objectifs de production de connaissance interdisciplinaire, de prise en compte du temps long ainsi que d’élaboration politique interministérielle et stratégique intersectorielle, s’ajoutent la mobilisation de tous ceux qui construisent les territoires et pensent et portent les projets qui engagent leur futur.

Une démarche de prospective type

Mais qu’entend-on par démarche de prospective ? Le plus simple est de tenter de décrire une démarche type. Elle comprend souvent trois phases. La première relève du diagnostic ou de l’état des lieux. Il s’agit de comprendre la situation territoriale abordée en s’appuyant sur les outils statistiques et l’observation. Les approches quantitatives, souvent plébiscitées pour leur objectivité, leur rigueur, sont insuffisantes. D’autres éléments plus qualitatifs, parfois controversés, plus propices au débat doivent être pris en compte : quelles sont les représentations des acteurs, les rapports de forces, les inerties liées à l’histoire, à la culture et aux habitudes, les embrayeurs de changements, les opérateurs, humains ou non, à considérer ?

L’exploration des enjeux qui engagent l’avenir

La deuxième phase est dite exploratoire. Si l’état des lieux va du passé au présent, la phase exploratoire est orientée du présent vers l’avenir. La première étape fait avant tout appel à la raison, lorsque la seconde laisse une plus grande part à l’imagination. On ne peut cependant considérer celle-ci comme un pur jeu créatif. Les méthodes utilisées par la prospective visent à doter ce travail d’imagination d’une rationalité procédurale qui lui donne une robustesse indispensable. Il s’agit de penser des futurs possibles, cohérents, crédibles. Ces « futuribles » sont des hypothèses qui doivent surmonter l’épreuve du débat contradictoire et faire l’objet d’une validation collective par les pairs. Dans cette phase exploratoire, les scénarios tiennent souvent une place majeure. On peut évidemment explorer le futur sans faire de scénarios, mais ils restent, en tant que récits, des éléments fondamentaux de la prospective et un moyen efficace de bousculer les représentations, d’obtenir l’adhésion, de donner du sens, de rendre compréhensible et convaincant ce qui, sans cela, relève trop de la prose absconse d’expert. La phase exploratoire doit déboucher sur l’énoncé d’enjeux. Qu’est-ce qu’un enjeu prospectif ? C’est un problème territorial qui est déterminant pour l’avenir d’un territoire et sur lequel on est obligé de se positionner.

L’élaboration de projets territoriaux

La troisième phase relève de la stratégie : elle vise à imaginer et construire les actions, les projets qui permettront de répondre à ces enjeux. Elle permet aussi de forger une vision commune, partagée par les acteurs du territoire sur l’avenir qu’il souhaite, la trajectoire qu’il juge préférable. Au-delà de la définition et du partage de cette vision, de l’identification des actions, il s’agit également de constituer les collectifs d’acteurs qui pourront les porter, souvent de lever les blocages liés aux situations de rente, de pouvoir, d’antagonismes sociaux et culturels. La question est en effet moins d’imaginer les actions qui répondraient dans l’absolu aux problèmes identifiés comme dans une utopie, mais bien celles qui en conditions réelles, dans un environnement souvent fortement contraint, vont pouvoir effectivement être mises en application et déboucher sur une transformation concrète du réel.

Les limites de la définition d’une démarche type

Une telle épure est néanmoins partielle et partiale, car une diversification accélérée des pratiques opère dans les territoires et les villes. La prospective territoriale s’hybride et s’enrichit avec les approches créatives, le design de politique publique, la gestion de projet, le Web 2.0, la participation citoyenne, l’expérimentation, les techniques d’empowerment, les pratiques d’immersion et de recherche appliquée… Les protocoles sont moins linéaires et stéréotypés, ils tentent de dépasser des frontières traditionnelles, souvent préjudiciables à leur efficacité : connaissance d’un côté, action de l’autre ; experts légitimes contre acteurs des territoires ; démarche institutionnelle versus capacitation des acteurs ;approche sectorielle ou territoriale contre interdisciplinarité et interterritorialité…

La prospective en classe : le début d’une nouvelle étape

L’introduction de la prospective territoriale en classe marque ainsi  une nouvelle étape pour la prospective territoriale et urbaine avec pour horizon probable de nouvelles évolutions des pratiques. Libérés de la finalité politique et de la nécessité de construire un projet qui engagera l’avenir d’un territoire, élèves et enseignants se lancent dans ces exercices avec une grande spontanéité et inventivité. Forts d’un objectif moins politique qu’éducatif les protocoles mis en œuvre en classe s’écartent des standards consacrés par l’État aménageur et les collectivités. Il faut parcourir la somme des expérimentations menées et appréhender leur diversité pour mesurer tout l’intérêt et la richesse de ce qui est entrepris, tant pour les élèves et l’enseignement que pour la prospective elle-même.

Une autre manière de lire le processus prospectif : compréhension, distanciation, réagencement

Cette diversité a d’ailleurs conduit à sortir de la modélisation traditionnelle en trois phases pour proposer une autre manière de lire ces travaux et leurs composantes. On distingue ainsi dans les dispositifs trois logiques qui imprègnent le processus et peuvent intervenir à différents moments. La première est la compréhension : elle désigne l’ensemble des activités menées qui permettent aux élèves de comprendre une situation territoriale donnée et le cas échéant d’appréhender la place et le rôle qu’ils peuvent y jouer au côté d’autres acteurs. La seconde est la distanciation : elle correspond au changement de regard caractéristique de l’attitude prospective : changement de temporalité et d’horizon, d’échelle spatiale et temporelle, de point de vue et de rôle. Elle doit permettre d’imaginer les trajectoires possibles d’un territoire et de définir les enjeux qui engagent son futur. La troisième est le réagencement. Elle traduit l’ensemble des modifications qu’un travail de prospective apporte aux représentations, aux connaissances, à l’engagement individuel et à l’investissement collectif, à la situation sociospatiale.

La prospective territoriale et urbaine comme processus d’apprentissage

L’objectif de la prospective territoriale en classe n’est pas d’élaborer un projet politique susceptible d’être mis en application, mais d’apporter une méthodologie qui renouvelle l’apprentissage de la géographie et du développement durable en l’inscrivant dans une pédagogie active. Par effet miroir, les expérimentations menées dans les classes soulignent combien la prospective territoriale est affaire d’apprentissage, individuel, collectif, organisationnel. On peut ainsi légitimement penser qu’il y là matière et opportunités d’ouvrir un champ extrêmement fécond non seulement pour l’enseignement de la géographie, mais aussi pour la prospective éprouvée dans de nouvelles situations. On espère enfin que ce déploiement de la prospective territoriale et urbaine en classe contribuera à doter les futures générations de capacités renforcées pour mieux comprendre les territoires, devenir des acteurs engagés et des citoyens investis.

Ce texte est l’extrait enrichi d’un article originellement publié par Géoconfluence : Stéphane Cordobes, Prospective territoriale et urbaine : de l’ingénierie à la pédagogie scolaire

Glossaire

Aménagement du territoire : La racine latine d’aménagement, manere, évoque la maison, faisant allusion à l’espace domestique et des actions de la vie quotidienne. L’aménagement du territoire désigne dans la vulgate institutionnelle l’action publique qui s’efforce d’orienter la répartition des populations, leurs activités, leurs équipements dans un espace donné à partir de choix politiques.  Il existe ainsi une forte relation entre conceptions de l’aménagement et configurations politiques d’ensemble.

Territoire : est un espace délimité, approprié par un individu, une communauté, sur lequel peut s’exercer l’autorité d’entité juridique (État, collectivité,…). Le territoire est une notion complexe qui peut-être mobilisé pour décrire différentes situations. Il est cependant possible d’identifier certains enjeux qui sont attachés à ce terme comme : sa double nature matérielle et symbolique, ses formes d’appropriation, sa configuration spatiale et enfin ses expériences individuelles, auto-référencées.

Urbain : Traditionnellement utilisé sous la forme d’un adjectif désignant ce qui se rapporte à la ville, le terme d’urbain s’est peu à peu imposé sous la forme d’un substantif dans le vocabulaire géographique. L’urbain se déploie partout, sans bornes claires, tout en multipliant les limites internes. Les organisations urbaines ne répondent plus au modèle radio-concentrique de la ville, mais ressemblent à des assemblages disparates, le centre et la périphérie peuvent se présenter partout. En même temps, l’urbain est marqué par la séparation spatiale tant des fonctions (zoning) que des groupes sociaux (ségrégation). Dans cette perspective l’urbain se définit comme une organisation spatiale caractérisée par le jeu du couple densité/diversité.

Références

Lévy J., Lussault M., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés

Site Géoconfluences Vocabulaire et notions générales

Histoire d’un mot

Gaston Berger (1896-1960)

La notion « prospective » a été créée dans les années 1950 par un philosophe et un haut fonctionnaire, Gaston Berger. Dans un article de 1958 intitulé *l’attitude prospective*, celui-ci envisageait la prospective comme une façon de voir loin (au-delà du présent et des actions de court terme), large (avoir une vision globale des événements et de leurs relations), d’analyser en profondeur (s’intéresser à l’histoire des temps longs chers à Fernand Braudel, prendre en compte ce qui travaille la société en profondeur), penser à l’Homme (« la prospective ne s’attache qu’aux faits humains ») et de prendre des risques (le champ de la prospective laisse « une liberté que ne permet pas l’obligation à laquelle nous soumet l’urgence »).

 

Au court du temps, les pratiques ont évolué et le terme s’est largement diffusé au point que son usage courant en est venu à désigner « indistinctement tout discours portant sur un futur quelque peu lointain ». (Vidal, 2012)

Références

Cordobes S., « Comment la prospective territoriale renouvelle-t-elle l’action publique ? », Millénaire 3, 2014. Disponible en ligne
Cordobes S., Quelles représentations pour penser le futur des territoires ? Les entretiens Albert-Kahn, Cahier 27, juin 2017
Cordobes S., « Comment la prospective territoriale renouvelle-t-elle l’action publique? », M3, juin 2014
Cordobes S., « La possibilité d’une prospective urbaine », in DURANCE Ph. (Dir),La Prospective stratégique en action, Paris, Odile Jacob, 2014
Durance P., Godet M., Mirénowicz P., Pacini V., « La prospective territoriale, pour quoi faire ? Comment faire ? », Les cahiers du LIPSOR,
Lussault, M., Butzbach, E. (2012), Table ronde : « L’avenir territorial dure-t-il longtemps ? » L’imagination territoriale au pouvoir ?, Synthèse de Les Mercredis de l’INET à Paris du 31 octobre 2012, Pantin. Disponible en ligne.
Vidal C., Polère C. (2012), « Sens et enjeux de la prospective », L’imagination territoriale au pouvoir ?, Synthèse de Les Mercredis de l’INET à Paris du 31 octobre 2012, Pantin. Disponible en ligne.

Pour aller plus loin :